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Déposition de Kate Hoerlin.Etat de New-York
Comté de Broome
Ville de Binghamton.
Kate Eva,dûment assermentée,dépose et dit:
Kate Eva déclare sous serment:
" Le samedi 30 juin 1934,j'habitais avec mon ancien marie le Dr Willi Schmid
et mes trois enfants Renate (Duscha),âgée de neuf ans,Thomas,âgé de sept ans,
et Heidi,âgée de deux ans,dans un appartement situé au troisième étage au 3 Schackstrasse,Munich,Allemagne.
En ce temps-là,mon mari,Willi Schmid,était critique musical pour le
Muenchner Neueste Nachrichten,
le journal le plus important de Munich.
A 19h 20 le soir du 30 juin,alors que mon mari était dans son bureau en train de jouer
du violoncelle,pendant que j'étais en train de préparer le dîner et que les enfants jouaient
entre la salle à manger et la cuisine,on sonna à la porte.
Mon employée,Anna Bielmeier,alla répondre.
Elle alla chercher mon mari et lui dit qu'il y avait un homme qui voulait discuter avec lui
à propos d'un travail.
Je demandai à mon mari pourquoi quelqu'un viendrait à cette heure un samedi soir,
mais il dit qu'il le verrait de toute façon.Je suivis mon mari jusqu'à la porte et vis un homme
qui se tenait là,habillé en civil.
Au moment où mon mari atteignait la porte,l'homme en civil entra à l'intérieur,
et quatre hommes en uniforme SS,armés,apparurent sur le côté de l'entrée et continuèrent
leur chemin dans notre appartement jusque dans le bureau de mon mari.Je les suivis.
Mon mari leur demanda ce qu'ils voulaient.
Ils répondirent simplement :"
Viens avec nous tout de suite."Mon mari leur demanda ensuite s'ils avaient un mandat ou une pièce d'identité,
et ils répondirent qu'ils n'en avaient pas besoin.
Je leur dis qu'il devait y avoir une erreur,et que j'allai chercher les papiers de mon mari
qui étaient dans un tiroir de son bureau.
Je me tournai alors pour me rendre jusqu'au bureau qui était de l'autre côté de la pièce
quand mon mari me cria : "
Ne bouge pas,ils te tueront"Je stoppai là où j'étais et regardai les quatre SS avec leurs armes pointées sur moi.
Ensuite,ils attrapèrent mon mari et le poussèrent hors du bureau.
Quand ils atteignirent l'entrée,mon mari demanda s'il pouvait prendre son chapeau
qui était accroché là.
Je demandai aux SS si je pouvais venir,mais ils ne me répondirent pas.
Je les suivis jusqu'en bas des marches et dehors dans la rue où une voiture attendait.
J'étais naturellement dans un état d'inquiètude avancé à ce moment,et quand ils le forcèrent
à entrer dans la voiture,il dit :"
Sois calme,chérie,il ne peut s'agir que d'une erreur."Ce sont les derniers mots qu'il me dit et je me souviens très clairement d'eux.
La pensée me vint de relever le numéro de la plaque d'immatriculation de la voiture.
Ce que je fis et écrivis immédiatement après avoir regagné mon appartement.
Je téléphonai aussitôt au Dr Arthur Huebscher,l'un des rédacteurs du journal de mon mari,
et lui racontai ce qui venait d'arriver.Il vint immédiatement.
Durant cette nuit,je passai d'innombrables coup de téléphone,appelant quiconque dont
je pensai pouvoir obtenir de l'aide.
J'ai appelé la police,qui m'a simplement dit qu'ils ne savaient rien,et qu'il n'y avait rien
qu'ils pourraient faire pour moi.
J'appelai aussi le quartier général de la Gestapo à différents moments de la nuit,
et ils me répondirent simplement qu'ils ne savaient rien de cela.
Le lundi,des employés du
Muenchner Neueste Nachrichten contactèrent Karl Haniel
à Dusseldorf,membre du Conseil d'Administration au journal de mon mari,figure très en vue
dans l'industrie allemande de portefeuille,occupant entre autres la place
de président du Conseil d'Administration du "
Gutehoffnungshuette",
la grande usine allemande d'acier.
Il vint à Munich aux environs du 3 juillet.
Il contacta la Gestapo immédiatement,et,grâce à son influence,réussit à obtenir
pour moi l'information que mon mari était mort.
On lui dit que mon mari avait été exécuté à Dachau "par accident".
On lui dit que le corps serait délivré en tant que "corps d'une personne innocente"
et on l'informa sur la façon dont il pourrait l'obtenir.
Le 4 juillet,Karl Haniel,son cousin Kurt Haniel ainsi que le Capitaine Schenck
et un autre homme du
Muenchner Neueste Nachrichten vinrent comme prévu à Dachau
et prirent le corps dans un passage souterrain juste à l'extérieur du camp.
Il était dans un cercueil de bois brut qui était fermement scellée avec écrit à la craie bleue
sur le dessus:
"Dr Willi Schmid".Il a été donné à Karl Haniel et aux autres par des membres de la Gestapo qui,
d'une manière qui ne laisse aucun doute quant aux conséquences d'une désobéissance,
ordonna qu'en aucun cas on ouvrit le cercueil.
Les funérailles furent préparées pour le 6 juillet.
Je voulais faire publier l'avis de décès dans le journal de mon mari,mais l'employé
que je contactai au journal m'informa qu'ils avaient reçu des instructions de la Gestapo
qu'aucun avis de décès ne pourrait être publié sans l'approbation préalable de cette dernière.
J'appelai donc la Gestapo afin de lui demander l'autorisation de publier l'avis de décès.
Ils me dirent que je pourrais le faire publier à condition que je dise que la mort avait été accidentelle,également que je ne fasse mention ni de la date de la mort,ni celle
des funérailles,car une telle évocation pourrait troubler l'ordre public.
Je leur répondis que je ne ferai pas publier un mensonge et raccrochai.
Le journal publia l'avis de décès conformément aux restrictions de la Gestapo sans
mon consentement.
La Gestapo m'informa également que toute musique prévue aux funérailles,
comme tout discours envisagé en l'honneur du Dr Schmid,devrait dans un premier lieu
être passé au crible de la censure.
Mon beau-frère,Walter Schmid,m'obtint ce qui était supposé être un certificat de décès officiel.
Cependant,le certificat qu'il me donna stipulait que mon mari avait trouvé la mort à Dachau
à 18 h le 30 juin 1934.
Je demandai à mon beau-frère de chercher à obtenir un véritable certificat de décès,
car mon mari n'avait même pas encore été arrêté à l'heure indiquée sur le certificat
qu'on m'avait donné.
En compagnie de mon autre beau-frère,Franz Ringler,Walter se rendit à la ville de Dachau
où il contacta le conseiller d'Etat Kellner à qui il demanda d'expliquer l'erreur évidente
du certificat qu'il avait reçu.Kellner informa mes beaux-frères que le certificat
avait été réalisé en conformité avec les instructions verbales données
par le Obersekretear Mutzenbauer,un employé du camp de concentration de Dachau.
Cet individu devrait détenir des informations concrètes concernant le meurtre de mon mari.
Quand mon mari a été emmené il avait en sa possession une montre en or qui était
un héritage de famille.Il portait aussi quelque argent ainsi que d'autres effets personnels.
Plusieurs fois j'ai demandé à la Gestapo de me rendre cette montre,parce que j'y étais attachée
sentimentalement,et on m'a souvent assuré qu'elle me serait restituée.
Mais ni la montre,ni rien des effets personnels de mon mari lorsqu'on l'a enlevé ne m'ont
jamais été remis.
Le 7 juillet,un employé de la Gestapo,le conseiller d'Etat Brunner,vint à mon domicile.
Il venait exprimer sa peine pour ce "regrettable accident".
Parmi de nombreuses autres questions,je lui demandai la raison de l'arrestation de mon mari.
Il refusa de répondre à aucune des questions que je lui posai.
Durant les semaines qui suivirent,la Gestapo tenta de me corrompe par deux fois;
des messages étaient envoyés chez moi.
Ils n'affirmèrent jamais que l'argent était offert et ne voulurent ni reçu,ni aucun autre
autre accusé de réception pour cela.Je refusai à chaque fois.
La première fois,le messager emporta l'argent avec lui,mais la seconde fois il insista
pour me le laisser.
Je l'emmenai au Braunehaus,le quartier général de la NSDAP à Munich,où je racontai
à un employé ce qui venait de se passer et que j'avais refusé d'accepter l'argent.
Un capitaine,Fritz Wiedemann,membre du personnel de Rudolf Hess,entendit la conversation
et m'offrit son aide.
Il me dit qu'il pouvait laisser l'argent là et qu'il ferait tout son possible pour obtenir
une pension pour moi.
Il dit également qu'il essaierait de m'obtenir une déclaration stipulant que mon mari
était entièrement innocent.
Peu après je reçus un coup de téléphone:la voix au bout du fil m'annonça que
Heinrich Himmler désirait me parler.Une voix très arrogante vint ensuite pour me dire
qu'il vaudrait mieux pour moi que j'accepte l'argent qu'on m'avait proposé et de me calmer
pour le reste.Je réitérai mon refus et raccrochai.
Je contactai immédiatement le capitaine Wiedemann et lui expliquai le coup de fil de Himmler.
Peu après,le 31 juillet,Rudolf Hess vint personnellement me rendre visite,accompagné
d'un adjudant.
Il m'annonça qu'il était venu pour exprimer toute sa compassion et assura que les coupables seraient punis.
Je lui répondis de ne pas punir les jeunes hommes qui avaient emmené mon mari,
mais les véritables coupables,les responsables de cet acte.
Il me dit que je devrais penser à la mort de mon mari comme celle d'un marthyr mort
pour une grande cause.
Il me promit qu'il s'intéresserait personnellement à ce cas.
Une lettre de lui suivit sa visite,datée du 24 septembre 1934,dans laquelle il parlait
de sa visite chez moi et où il affirmait que l'assassinat de mon mari était en aucun cas
en rapport avec le complot de Röhm ou avec une culpabilité quelconque.
Une copie de cette lettre,attestée par un notaire munichois,le Dr Kleinmann,est jointe
à ma déclaration.
Mes deux beaux-frères ont également vu l'original de cette lettre,et leurs noms et adresses
sont inscrits en dessous.
Sur la requête de Rudolf Hess,le parti nazi me paya une pension mensuelle de 1 000 marks,
ce qui était l'équivalent approximatif du salaire de mon mari avant sa mort.Ne voulant rien recevoir des Nazis et ressentant que le parti,qui à cette époque était
encore séparé du gouvernement allemand,ne pourrait me procurer à mes enfants
et à moi aucune véritable sécurité,je me débrouillai pour obtenir cette même pension
du gouvernement allemand.
Au terme de presque un an de négociations,plus six ou sept voyages à Berlin,
j'obtins finalement du Ministère des Affaires intérieures du Reich l'accord pour cette pension.
Une copie photostatique de cet accord est jointe à la présente déclaration.
Je possède l'original et ne souhaite pas m'en séparer car cet accord du Reich,
et non du parti nazi,oblige encore l'Etat allemand à s'occuper de l'éducation de mes enfants.
En toute justice,je dois déclarer que le capitaine Wiedemann,ancien membre très influent
de la NSDAP,a vraiment été compatissant envers moi,et je dois beaucoup plus à lui
qu'à quiconque pour sa protection contre la Gestapo.
Mon ancien mari,Willi Schmid,n'a jamais eu aucune affiliation politique,et ne s'est jamais
engagé dans des activités politiques.
En revanche,il était fermement antinazi et ceci était connu du directeur général
du
Muenchner Neueste Nachrichten , le SS Gruppenfuehrer Hausleiter,qui depuis 1933
contrôlait l'orientation politique du journal.
S'il est disponible, Hausleiter devrait être questionné sur sa connaissance des circonstances
qui ont résulté du meurtre de mon mari.Le jour même où mon mari fut assassiné,
un important chef SA nommé Willi Schmidt fut également assassiné.
Beaucoup pensèrent que le meutre de mon mari résulta de la similitude entre les deux noms,
mais ce fait n'a jamais été établi ou admis.
" Sur la requête de Rudolf Hess,le parti nazi me paya une pension mensuelle
de 1 000 marks." Mes deux beaux-frères à qui je fais référence plus haut connaissent bien les circonstances
qui ont suivi le meurtre de mon mari.Leurs dernières adresses connues sont:
Walter Schmid,Riesserkop Strasse 17,Garmisch-Partenkirchen,Bavaria.
Franz Ringler,Dreitorspitze Strasse 24, Garmisch-Partenkirchen,Bavaria.
Je quittai l'Allemagne en 1937 avec mes enfants et m'installait en Autriche.
Je me mariai alors en juillet 1938 avec mon actuel mari, Hermann William Hoerlin,
et nous partîmes pour les Etats-Unis peu après.Nous devînmes citoyens américains en 1944.
Notre adresse actuelle est 35 Vermont Avenue,Binghamton,New-York.
Même si je me suis référée à la police secrète allemande en utilisant dans cette déposition
le terme "Gestapo",je dois cependant dire qu'au temps du meurtre de mon mari,
on les appelait en fait "police politique"."
Le 7 juillet 1945.
(signé) Eva Hoerlin.
ETAT DE NEW YORK
COMTE DE BROOME
Personnellement,et devant moi ce 7 juillet 1945,comparut Kate Eva Hoerlin que je connus
personnellement ces sept dernières années comme étant Kate Eva Hoerlin,et qui,
sous serment,a juré que la déclaration ci-dessus était intégralement vraie et correcte.
(signé) Charles W.Turner,notaire.
SUPPLEMENT A LA DECLARATION DE KATE EVA HOERLIN
ETAT DE NEW YORK
COUNTY OF BROOME
Kate Eva Hoerlin déclare sous serment:
" Dans la déposition que j'ai signée sous serment le 7 juillet 1945,et qui relatait
les circonstances liées au décès de mon ancien mari,le Dr Willi Schmid,j'ai oublié
de déclarer qu'après avoir écrit le numéro de la plaque d'immatriculation de la voiture
dans laquelle mon mari était emmené par les SS, le propriétaire de cette voiture
appartenait au Baron Rechlerg qui,je le crois,était étudiant à Munich et membre de la SS
à l'époque.
Il est possible que cet individu puisse avoir connaissance des circonstances du meurtre
de mon mari.
La plaque d'immatriculation de la voiture contenait les lettres IIIA,ce qui signifiait
qu'elle avait été enregistrée à Stuttgart.
(signé) Kate Eva Hoerlin
A juré devant moi ce 9 juillet 1945.
(signé) Charles W.Turner,notaire.
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Source:
Sans Concession, n°75 -Mai/juin 2012, pp.102-106.