Je reviens sur l'accusation de trahison lancée contre des Français "coupables"
d'avoir servi l'Etat français entre 1940 et 1944.
L'argument principal des gaullistes,je le connais:même après juin 1940,
aucun traité de paix n'ayant été signé avec le Reich,la France restait en guerre
avec l'Allemagne.Par conséquent,ceux qui ont collaboré ou pis ! qui ont revêtu
l'uniforme allemand se sont mis au service de l'ennemi,devenant ainsi des traîtres
à la patrie.Lors de l'Epuration,beaucoup l'ont payé de leur vie,des journalistes,
des fonctionnaires,mais aussi des anonymes...Je veux aujourd'hui leur rendre justice.
Un traité de paix pas toujours nécessaire.Tout d'abord,je rappellerai qu'en droit,la conclusion d'un traité de paix n'est pas
nécessaire pour mettre fin à une guerre.Les exemples historiques sont nombreux:
a) la guerre entre les couronnes de Pologne et de Suède,qui s'achèvera en 1716
sans traité de paix (l'état de paix fut reconnu dix ans plus tard par des lettres
réciproques des deux souverains),
b) le conflit franco-espagnol terminé en 1720,
c) la lutte entre la Russie et la Perse suspendue définitivement en 1801 avec
l'avènement de l'empereur Paul.
Pour le XIXè siècle,je citerai la guerre entre la France et le Mexique,
celle entre l'Espagne et le Chili,ainsi que toutes les guerres d'indépendance
entre l'Espagne et ses colonies d'Amérique Latine,bien que,dans ces derniers cas,
les hostilités actives eussent cessé dès 1825,il fallut attendre 1840 pour que des
relations commerciales fussent autorisées et 1850 pour que l'Espagne reconnût
l'indépendance du Vénézuéla.Tous ces exemples démontrent qu'une guerre peut
parfaitement se terminer sans aucun traité de paix,uniquement lorsque les belligérants
cessent de se battre et recommencent à parler ensemble.
Cessation de la lutte et reprises de relations plus cordiales,c'est exactement ce qui
s'est passé à partir de juillet 1940 entre la France et l'Allemagne.
Reconnaissons qu'en juin,la France,écrasée militairement,n'était absolument plus
en état de continuer la lutte.Voilà pourquoi,loin d'être une simple
"suspension
des hostilités" avec
"maintien du statu quo des parties belligérantes dans
leurs positions respectives" comme l'aurait voulu le droit international,l'Armistice
du 22 juin 1940 consacrait au contraire la défaite de la France:ses armées devaient
être démobilisées (art.4),le matériel de guerre remis au vainqueur (art.6),la flotte
de guerre et l'aviation désarmées sous contrôle allemand ou italien (art.5 et 8 ,
les fortifications avec leurs plans livrées à l'Occupant (art.7).
C'est ce qui fit dire à Paul Reynaud en 1945 que la
"capitulation (était) inscrite
dans l'une des clauses de cet armistice" (cf.le procès Pétain,compte rendu
sténographique publié au
Journal officiel,page 147,col.A).
Le 6 septembre 1940,d'ailleurs,dans une allocution retransmise mondialement,
le Maréchal lança:
"La France a perdu la guerre" (cf.page Pétain,
Quatre années au pouvoir(éd.La Couronne Littéraire,1949),page 58).
C'est dire clairement que la guerre était finie,puisque la France n'avait plus d'armée
pour se battre et qu'une nouvelle période allait commencer.
Un mois plus tard,dans son message du 11 octobre 1940,il annonça que des relations
amicales pourraient être renouées avec l'Allemagne qui,soit dit en passant,n'était
plus qualifiée d'"ennemie" mais de
"vainqueur".
Le 30 octobre 1940,enfin,après l'entrevue de Montoire,le Maréchal annonça:
"Une collaboration a été envisagée entre nos deux pays.J'en ai accepté le principe.
Les modalités seront discutées ultérieurement (...).
C'est dans l'honneur et pour maintenir l'unité française,une unité de dix siècles,
dans le cadre d'une activité constructive du nouvel ordre européen que j'entre
aujourd'hui dans la voie de la collaboration (...).
Cette collaboration doit être sincère.
Elle doit être exclusive de toute pensée d'agression,elle doit comporter un effort patient et confiant" (Ibid,pages 69-71).
Si,plus loin,le Maréchal rappelait que l'armistice,
"au demeurant,n'(était) pas
la paix",c'était non pour évoquer une éventuelle reprise des hostilités,mais pour
justifier le fait que la France était encore
"tenue par des obligations nombreuses
vis-à-vis du vainqueur" (Ibid,page 71).
Sans surprise,Pierre Laval confirma le message du Maréchal (cf.ses allocutions
du 21 avril 1942 et du 5 juin 1943) et appela les Français à collaborer loyalement
avec l'Occupant.
Certes,en 1945,des "collaborateurs" traînés devant les tribunaux invoquèrent
la thèse du double jeu subtil qu'il fallait savoir reconnaître au travers des allocutions
officielles.Il leur fut toutefois répondu que,sous l'Occupation,le public ne pouvait pas
décrypter (cf.notamment la déposition de Paul-Ferdinant Arrighi lors du procès
Pétain,le 31 juillet 1945).
Je note qu'à son procès,Jean-Hérold-Paquis a eu l'honnêteté de souligner:
"Ma collaboration à moi est venue d'une chose bien simple:il y avait un grand
soldat,car on l'appelait ainsi,qui nous montrait le chemin en 1940.Ce grand soldat
était allé à Montoire,tous les corps constitués lui avaient prêté serment,
27 nations étaient représentées auprès du Gouvernement de Vichy,y compris
la Russie et les Etats-Unis.A ce moment-là,on ne parlait pas du tout de double jeu,
personne n'en parlait.On en a parlé curieusement,non pas après la Libération,
mais après la défaite allemande.
Si ce double jeu avait existé,je tiens à vous dire tout de suite qu'on l'aurait
certainement bien su,au mois d'août 1944" (cf.Les procès de la radio,Ferdonnet
et Jean-Hérold Paquis:
compte rendu sténographique (éd.Albin Michel,1947),
page 166).
Toutes ces citations et bien d'autres,démontrent qu'à partir de l'été 1940,
le gouvernement de la France ne voyait plus dans l'Allemagne un ennemi héréditaire
à combattre par les armes dès que la situation le permettait,mais un vainqueur
avec lequel il fallait collaborer sincèrement pour construire un nouvel ordre européen,
loin des amitiés et des inimitiés dites traditionnelles.
Voilà pourquoi,je déclare qu'à partir de juillet 1940,des Français pouvaient collaborer
avec l'Allemagne sans être,pour autant,dénoncés comme des traîtres.
Comme l'a rappelé Pierre Laval le 3 août 1945 au procès Pétain,après la défaite
de juin 40:
" Nous (les Français) n'avions plus de camp".La réponse des gaullistes. Naturellement,les gaullistes me répondront que le gouvernement de Vichy n'était
pas légitime,donc que l'armistice signé en juin 1940 et les orientations politiques
prises ensuite par le maréchal Pétain devaient rester ignorés des Français.
La France,répéteront-ils,restait en guerre avec l'Allemagne,dès lors,"collaborer"
relevait de la trahison.
Il fallait suivre de Gaulle qui incarnait la République et continuer la lutte.
A l'appui de cette argumentation,ils invoqueront l'ordonnance du 9 août 1944
selon laquelle en droit,la République n'avait
"jamais cessé d'exister" sur
le sol français et qu'en conséquence,étaient
"nuls et nuls d'effet tous les actes
constitutionnels promulgués sur le territoire continental postérieusement au
16 juin 1940",parmi lesquels la
"loi constitutionnelle du 10 juillet 1940".Ce que disait le Droit international. Dans un premier temps,je répondrai de façon défensive.Même à supposer que
la République n'ait jamais cessé d'exister et que le Maréchal ait été un usurpateur,
cela ne changerait rien.En effet,selon le droit international en vigueur à l'époque,
même illégitime,un gouvernement détenteur,
dans les faits,du pouvoir
souverain,pouvait validement contracter des engagements internationaux
(donc un armistice).Dans son manuel de droit,A.G Heffter déclarait (je souligne):
"Les représentants ou détenteurs actuels du pouvoir souverain,même usurpé,
possèdent seuls la capacité nécessaire pour conclure des traités (internationaux)
proprement dits(...)" (cf.A.G.Heffter,
Le droit international de l'Europe(Paris,1883),page 194).
Or,il est indéniable que,jusqu'au 11 juillet 1940,le Maréchal fut le Président
du Conseil régulièrement nommé par le président de la République Albert Lebrun.
A ce seul titre,il détenait le pouvoir souverain.
Par conséquent,même si la thèse de l'usurpation était vraie,autrement dit:
même à supposer que,dès le 16 juin,Pétain le "capitulard" eût dû être considéré
comme un usurpateur et de Gaulle le "clairvoyant" comme le chef légitime des
Français,alors qu'il n'émit cette prétention que le 27 octobre 1940 dans son discours
de Brazzaville,il n'en resterait pas moins vrai que l'armistice signé sous la responsa-
bilité du premier s'imposait aux Français,quoi qu'en aient dit de Gaulle et ses comparses.
J'en viens maintenant à la période postérieure au 11 juillet.
Sur cette question,je pourrais me contenter de rappeler les propos de l'ancien
président du Sénat,Jules Jeanneney,en 1945,au procès Pétain.Interrogé pour
savoir si le Maréchal avait
"usurpé des pouvoirs qui ne lui avaient pas été
donnés",il répondit clairement:
"Je ne le pense pas,pour la raison que la loi constitutionnelle donnait au maréchal
Pétain le pouvoir de promulguer en un ou plusieurs actes.Il avait tout le pouvoir
constitutionnel et dans ce pouvoir constitutionnel était inclus nécessairement
le pouvoir législatif (...).Je considérais l'usage qui était fait (par le Maréchal)
des pouvoirs donnés comme exorbitant,mais non contraire à la lettre de la loi
constitutionnelle" (cf.les sténotypes du procès Pétain,publiées au
Journal
officiel,pages 62 et 63).
Certes,lui et d'autres qui firent des déclarations semblables affirmèrent en même
temps qu'ils s'étaient trompés sur Pétain.
Le général Weygand leur répliqua:
"mon Dieu,c'est facile à dire qu'on s'est trompé,mais enfin,à ce moment-là,
ils ont tout de même reconnu que le gouvernement du Maréchal était régulier,
je faisais donc partie d'un gouvernement régulier" (Ibid,page 143).
De façon évidente,l'adhésion populaire dont a joui le maréchal Pétain jusqu'au
printemps 1944 et la présence à Vichy d'un corps diplomatique fortement représenté
jusqu'à la fin démontrent que,jusqu'au bout,la légitimité de l'"Etat français" resta
largement admise.Tout ce que l'on peut dire,c'est qu'elle fut contestée dans certains
milieux très restreints.Or,là encore,le droit international était très clair:
"Tant que l'origine ou la légitimité du pouvoir souverain est contestée ,le seul fait
de sa détention réelle tient lieu de droit,non seulement dans les rapports avec
le peuple soumis,mais aussi dans les relations internationales.
Ce que la souveraineté réelle,lors même qu'elle serait illégitime;est une continuation
de l'Etat,elle le représente et elle créé des droits et des obligations pour l'avenir,
sauf les droits particuliers au souverain légitime". (cf.A.G.Heffter,
op,cit.,page 117).
Quant au prince légitime qui aurait été écarté par l'usurpateur,le droit international
déclarait:
"dépouillé du pouvoir souverain,(il) ne peut valablement contracter
pour l'Etat qu'après avoir recouvré le pouvoir" (Ibid.,page 195).
Dès lors,même à supposer que Pétain ait été un usurpateur et de Gaulle le chef
légitime de la République repliée à Londres ou en Afrique du Nord,le premier était
seul habilité à signer,au nom de la France qu'il représentait
de fait,des traités
internationaux.De Gaulle,quant à lui,ne pouvait rien faire au nom de la France,
en particulier,il ne pouvait pas répudier l'armistice de juin 1940,ce qui rendait
tous ses appels et tous ses actes nuls et non avenus.
La République était morte depuis septembre 1939.Dans les lignes qui précèdent,j'ai développé une argumentation purement défensive.
Je vais maintenant passer progressivement à l'offensive en m'intéréssant à
l'argumentation central des gaullistes:l'illégitimité du régime de vichy.
Tout d'abord,j'admettrai qu'à partir du 11 juillet 1940,Pétain aurait été un usurpateur,
donc un individu
ipso facto déchu de tous ses mandats.
La question qui se pose alors est la suivante: qui était le chef légitime ?
De Gaulle,me répondront les gaullistes.Et pourquoi donc ?
Parce qu'il avait lancé son fameux "Appel" du 18 juin ?
C'est traiter bien légèrement la légitimité,car le Général n'tait mandaté par personne.
J'ajoute qu'à la même époque,Maurice Thorez lançait des appels à partir de Moscou
et M.Obrecht à partir de Stuttgart.Eux aussi prétendaient parler au nom de la "vraie"
France.Si,en cas de crise,un militaire déserteur peut devenir chef légitime au motif
qu'il a pu,sans aucun mandat,parler à un micro étranger,des centaines de Jean-Jean
peuvent émettre toutes les prétentions du monde...
Soyons sérueux ! A supposer que le 11 juillet,le Maréchal ait été déchu de tous
ses mandats au motif qu'il aurait perpétré un "coup d'Etat",à supposer que la
République n'ait jamais cesser d'exister,alors Albert Lebrun,dont le mandat avait
été renouvelé le 5 avril 1939,serait resté en fonction,avec pour mission de nommer
un nouveau président du Conseil lui-même chargé de former un nouveau gouvernement.
La légitimité,c'est lui qui l'aurait incarnée,cet c'est lui qui l'aurait offerte au nouveau
gouvernement.
Je note d'ailleurs que dans le réquisitoire définitif contre Pierre Laval,on lisait:
"C'est incontestablement lui l'agent responsable qui,par ses intrigues et ses menaces
jusque dans le cabinet du Président de la République,empêcha ce dernier,
les Présidents des deux Chambres,les membres du Parlement et ceux des ministres
qui avaient encore souci de la souveraineté nationale,d'aller en Afrique du Nord
former un gouvernement à l'bri des pressions allemandes,et qui devant l'Europe
et l'Amérique,eût représenté la France et affirmé sa persistance en tant que
nation souveraine." (cf.
Le procès Laval,compte-rendu sténographique,
1946,page 27).
Preuve que la légitimité s'attachait au président de la République et à son équipe,
pas à un général déserteur émigré...D'où le fait que jamais A.Lebrun n'a chargé
le général De Gaulle de constituer un gouvernement en exil à Londres.
Cela eût été grotesque.
On me répondra qu'en juillet 1940,les circonstances dramatiques empêchaient
le président de faire valoir ses droits légitimes,ce qui expliquerait son inaction et,
finalement,sa démission le 11 juillet.Admettons.Mais après la "Libération",ce n'était
plus le cas.
Reprenons l'ordonnance du 9 août 1944 sur le "rétablissement de la légalité
républicaine".Dans ses mémoires,Paul Faure a écrit:
"Point n'est besoin d'être éminent juriste pour tirer les conclusions qui découlaient
de ces textes.La nullité des actes constitutionnels de Vichy établissait
automatiquement la validité des lois constitutionnelles de 1875.
Il en résultait que M.Albert Lebrun,n'ayant jamais démissionné et ayant vu
son mandat renouvelé pour une période de 7 ans en 1939,demeurait Président
de la République,et que le Parlement,dont les pouvoirs avaient été prorogés
par les décrets-lois des 29 juillet-31 août 1939,se trouvait toujours être l'organe
législatif régulier du pays.Dès la promulgation de l'Ordonnance du 9 août 1944,
le Gouvernement Provisoire aurait dû céder la place à un gouvernement
constitutionnel de la République,en application des termes mêmes de cette
ordonnance" (cf.page Faure,
De Munich à la Cinquième République(éd.L'Elan,sd),pages 218-9).
Or,les nouveaux maîtres du pays se sont bien gardés de rappeler A.Lebrun
et les parlementaires d'avant-guerre.
Certes,l'une des raisons est évidente.Comme l'a écrit Paul Faure:
"Les profiteurs de la Résistance n'étaient pas disposés à abandonner les places
aux représentants réguliers que le peuple de France s'était librement donnés.
Le mot d'ordre était:s'installer et se cramponner au pouvoir par tous les moyens.
Et le premier de ces moyens fut de violer une fois de plus la loi constitutionnelle,
en frappant d'inéligibilité,au mépris de la tradition républicaine et démocratique,
les membres du Parlement,pour leur vote du 10 juillet 1940" (ibid.,page 219).
Seulement,il faut savoir parfois regarder au-delà des raisons circonstancielles
qui ne sont que secondaires.Pourquoi,après la "Libération",A.Lebrun et les
parlementaires d'avant-guerre ne furent-ils pas rappelés ?
Tout simplement parce qu'en septembre 1944,il y avait cinq ans,jour pour jour,
que la Troisième République était morte.
La République née constitutionnellement en 1875 n'a pas été renversée le
10 juillet 1940,comme on se plaît à le répéter,elle a été assassinée le 3 septembre
1939,à 17 heures très exactement,lorsque la guerre a été déclarée en violation
flagrante de la Constitution,c'est-à-dire sans l'assentiment des Chambres.
Voir en détails l'exposé de l'abominable manoeuvre de nos gouvernants qui,
soucieux de contourner la Loi pour entreprendre une guerre idéologique à laquelle
la France n'était absolument pas prête,ont,le 3 septembre 1939,considéré un vote
de crédits militaires obtenu la veille des parlementaires comme la permission
d'entrer en guerre,déclaration notifiée à l'Allemagne peu après 12h30.
Ce jour-là,des centaines de milliers d'hommes,mais aussi des femmes et des enfants,
ont été condamnés à une boucherie aussi inévitable qu'inutile.
Ils l'ont été en violation de toutes les règles dites démocratiques,c'est-à-dire
sans l'assentiment des élus qu'ils avaient choisis pour les représenter.