Sombres bourreaux", ces Noirs hitlériens. Interview de Serge bilé, auteur du livre.
Le livre "
Sombres bourreaux", de Serge Bilé, raconte le parcours des Afro-Antillais
qui ont combattu aux côtés d’Hitler.
Désespoir, endoctrinement ou sincère conviction, Serge Bilé décrit l’incroyable fascination
que ces Afro-Antillais avaient pour Adolf Hitler et le nazisme.
Des afro-antillais aux côtés d’Hitler ?
Cela peut sembler absurde mais des Noirs ont bel et bien fait partie de la Wehrmacht,
l’armée allemande (1935-1945) du IIIe Reich d’Adolf Hitler.
En 1935, à l’occasion du rassemblement de Nuremberg, les lois raciales
sont promulguées.
Et elles ne vont pas simplement à l’encontre des juifs mais aussi des Tziganes
ou des Noirs.
Pourtant, certains Afro-Antillais ont intégré les rangs de la Wehrmacht.
C’est le cas d’un soldat français qui par dessus tout souhaite s’enrôler
dans la Waffen SS, le corps d’élite hitlérien.
L’homme n’est ni aryen, ni blanc, mais guadeloupéen et bien noir.
Pour mieux comprendre ces comportements, Serge Bilé, Franco-Ivoirien,
écrivain et journaliste à RFO, raconte comment ces Noirs qui ont combattu pour Hitler,
ou encore pour Mussolini, en sont arrivés là.
«
Sombres bourreaux » est sorti le 4 novembre.
Afrik.com :
Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au rôle qu’ont joué les Afro-Antillais
aux côtés des nazis lors de la seconde guerre mondiale ?
Serge Bilé :
J’ai été interpellé par un film « Lacombe Lucien » de Louis Malle, sorti en 1974.
Dans une des scènes du film, il y a un noir qui torture une personne pour la gestapo.
Cette scène m’a frappé. J’ai donc entrepris, depuis 2004, des recherches sur le rôle
qu’ont joué certains afro-antillais aux côtés des nazis.
J’ai découvert qu’en Outre-mer certains avaient tout quitté pour rejoindre
l’Allemagne nazie.
Afrik.com :
C’était le cas justement de Norbert Désirée, Guadeloupéen, né le 12 juillet 1909
à Pointe à Pitre.
Il est en quelque sorte le héros de votre livre, le fil conducteur.
Pourquoi s’être davantage intéressé à ce personnage ?
Serge Bilé :
C’est celui avec lequel je me suis le plus senti en communion.
J’y ai été amené à travers une lecture.
Dans un livre de la LVF (ndlr :
Légion des volontaires français),
on parle d’un certain Norbert.
Je me suis penché sur son cas et me suis demandé comment un guadeloupéen
peut quitter son île pour entrer dans l’armée allemande.
«
Nous sommes allemands comme les autres et nous voulons défendre notre pays ! »
Afrik.com :
Des Afro-Antillais n’ont pas hésité à s’engager aux côtés des forces armées d’Hitler
et ce en dépit des lois de Nuremberg.
Etait-ce l’argent qui entraînait une telle motivation ?
Certains ne l’ont-ils pas fait par réelle conviction ?
Serge Bilé :
C’est plus qu’une question d’argent. Beaucoup de noirs ont cherché à fuir ces lois
et la répression.
Certains d’entre eux sont restés.
Mais en décidant de rester, il fallait se faire tout petit, ne pas se faire remarquer.
Quelques-uns ont réussi à détourner les lois pour intégrer la jeunesse hitlérienne.
C’était une manière de dire :
«
Nous sommes allemands comme les autres et nous voulons défendre notre pays ! »
Ils avaient en eux une part de nationalisme y compris une admiration pour Hitler.
Pour Norbert Désirée, c’était une motivation financière et nationaliste.
Il avait envie de voir la France se relever.
Autre chose, Norbert était clairement anti communiste et ne voulait pas
que le bolchevisme arrive en Guadeloupe.
Afrik.com :
Etait-ce la même mentalité, la même population que les Afro-Antillais d’Italie
et d’Espagne qui ont pris les armes pour Franco et Mussolini pourtant réputés fascistes ?
Serge Bilé :
Il n’y a pas de réelles différences.
Là aussi c’est l’envie de défendre son pays qui primait sur tout le reste,
à l’exemple de Prado (ndlr : un des personnages du livre) qui se bat
pour intégrer l’armée italienne.
Il y a ceux qui sont nés en Italie et qui veulent intégrer les partis fascistes
et ceux comme Peter (ndlr : un des personnages du livre) qui arrivent après
et qui sont pris par le syndrome de Stockholm en version italienne.
A force d’être proches des fascistes, ils ont fini par le devenir.
Afrik.com :
Aussi surprenant que cela puisse paraître, certains ont même atteint le statut
de martyr à l’exemple d’Adolfo Prasso, un métis italien-éthiopien.
Au point même qu’un buste à son effigie, toujours présent aujourd’hui,
a été installé à Mongardino, une commune italienne de la province d’Asti
dans la région Piémont en Italie.
Hitler n’aurait jamais fait ça.
Pourquoi l’Italie de Mussolini, théoriquement alliée de l’Allemagne nazie ?
Serge Bilé :
Ce sont les grands mystères de l’histoire.
On ne sait pas pourquoi avoir pris une telle décision, certains, auxquels on s’y attend
le moins, arrivent à franchir les barrières…
Dans le livre, sa cousine explique que cette statue est un honneur à Prasso et à sa famille.
«
C’était une époque difficile pour les noirs »
Afrik.com :
Pensez-vous que ces Afro-Antillais devaient être jugé au même titre que
les soldats d’Hitler et les collaborateurs ?
Serge Bilé :
Oui, c’est normal.
Ils ont eu au même titre que les collaborateurs leur part de responsabilité
dans les atrocités commises au sein de l’armée allemande.
Mais on s’aperçoit que très peu d’entre eux ont été jugés.
Afrik.com :
Avez-vous eu l’occasion de rencontrer certains d’entre eux ?
Serge Bilé :
Malheureusement non.
J’ai eu l’occasion de parler au téléphone avec l’un d’eux qui a aujourd’hui 92 ans
mais il y a une certaine gêne à parler de cela.
J’en ai contacté un autre mais il a aussi refusé de me rencontrer et même
de s’exprimer au téléphone.
On sent bien qu’il y a une honte, une peur de témoigner.
Afrik.com :
Quelle image ont les Afro-Antillais, qui connaissent ce passage de l’histoire,
de ces compatriotes de l’époque ?
Serge Bilé :
C’est à chaque fois la stupéfaction.
Quand je raconte cette histoire, on ne me croit pas tellement elle paraît
invraisemblable.
J’ai commencé à en parler en 2004. Personne ne m’a cru jusqu’à ce que
je leur fournisse les preuves.
Afrik.com :
Et vous-même, qu’en pensez-vous ? Ont-ils vraiment eu le choix ?
Serge Bilé :
J’ai toujours eu cette posture de ne pas juger mais au fond je me dis :
qu’aurais-je fais à leur place ?Evidemment je n’ai pas la réponse car je n’en sais strictement rien.
C’était une époque difficile pour les Noirs, alors il fallait trouver la facilité.
Le parcours de ces Noirs est extraordinaire et impressionnant mais je n’ai pas à juger.
C’était une époque difficile pour les noirs.
(
1942, les légionnaires guadeloupéens Louis-Joachim Eugène et Norbert Désirée,
vêtus de leur uniforme allemand, se retrouvent au camp polonais de Deba,
où les volontaires français de la LVF s’entraînent avant de partir sur le front russe).
Encore une page de notre Histoire mise au grand jour et qui fait tomber les clichés
de la propagande des "vainqueurs" depuis 1945....