On mesurera le cynisme avec lequel les vainqueurs ont déclaré :
1) «
Le Tribunal ne sera pas lié par les règles techniques relatives
à l’administration des preuves » (ce qui est terriblement inquiétant) et,
2) «
Le Tribunal n’exigera pas que soit rapportée la preuve de faits
de notoriété publique, mais les tiendra pour acquis »
(ce qui n’est pas moins inquiétant).
Les phrases explicatives qui suivent chacune de ces deux décisions confirment
et accroissent les pires craintes.
Dans le cas de l’article 19, on ajoute que le Tribunal « adoptera et appliquera
une procédure expéditive et non formaliste et admettra tout moyen qu’il estimera
avoir une valeur probante » ; ici une remarque : les traducteurs français
ont traduit l’anglais «
expeditious », qui signifie «
expéditif », par «
rapide ».
Retenons que, de ce point de vue, le Tribunal ira vite en besogne et ne
s’embarrassera pas trop des formes ; puis, au terme d’une procédure
aussi désinvolte, ce même Tribunal déclarera :
«
Ceci est une preuve » ou «
Cela n’est pas une preuve ».
Dans le cas de l’article
21, on ajoute que le Tribunal :
«
considérera également comme preuves authentiques les documents
et rapports officiels des Gouvernements des Nations Unies, y compris ceux
dressés par les Commissions établies dans divers pays alliés pour les enquêtes
sur les crimes de guerre ainsi que les procès-verbaux des audiences
et les décisions des tribunaux militaires ou autres de l’une quelconque des Nations Unies ».
Faramineux !
Voilà donc un tribunal qui, les yeux fermés, sans examen du contenu,
dira par exemple :
«
Ceci est le rapport officiel d’une Commission de vainqueur qui a enquêté
sur un crime imputé au vaincu ; il est signé de ce vainqueur ; en conséquence,
il a valeur de preuve authentique » ! C’est ainsi que le tribunal des «
Nations Unies » va décider d’accorder valeur
de preuve authentique à toutes sortes de documents communistes dont le rapport
officiel
URSS-54 de la Commission soviétique concluant que le crime de Katyn
avait été perpétré par une unité de l’armée du vaincu.
On est surpris de lire que, dans ce même article 21, on puisse parler de
«
faits de notoriété publique »
sans préciser aux yeux de qui tel fait sera «
de notoriété publique »
et tel autre ne le sera pas.
Comment cela se décidera-t-il ? Sur quel critère ?
La réponse, dans la pratique, est que les juges prendront leur décision
sans avoir à produire leurs raisons ; toujours dans la pratique, ils auront été
«
instruits » par le film atrocement mensonger qui a été projeté
à l’ouverture du procès.
Autrement dit, le cas est prévu où les juges se dispenseront d’apporter une
ou plusieurs preuves. Et les juges de Nuremberg useront surabondamment
d’une telle latitude. La liste est interminable des affirmations que ce tribunal
se permettra sans apport de la moindre preuve.
En particulier, il affirmera que le vaincu a suivi une politique d’extermination
physique des juifs d’Europe mais aucune preuve ne sera fournie !
Il affirmera aussi que le vaincu, pour perpétrer ce crime, a usé d’armes
de destruction massive appelées « chambres à gaz » ou, dans le cas de Treblinka (
document PS-3311 à valeur de preuve authentique),
de «
chambres à vapeur » (steam chambers)
sans fournir la moindre preuve telle qu’une expertise criminelle, ce qui est un comble pour un supposé crime
de cette dimension.
Il affirmera que le total des victimes juives du vaincu s’est élevé à six millions
sans fournir, là encore, de preuve mais au prix d’une étonnante tricherie :
- il dira qu’Eichmann l’a dit alors que c’est Wilhelm Höttl qui, dans un affidavit
(une déclaration écrite sous serment), a dit qu'Eichmann
le lui avait dit,
et cela dès août 1944 ! Höttl avait menti.
Faisant valoir qu’une convocation de Höttl était aisée puisque, aussi bien,
le personnage demeurait sur place (et collaborait activement avec l’accusation
de peur d’être livré à la Hongrie communiste), les avocats de la défense
avaient demandé sa comparution pour qu’il vienne s’expliquer ;
le président du tribunal leur avait répondu :
qu’on verrait cela plus tard mais, plus tard, on n’a rien vu du tout !
Passez, muscade !
Quel est l’insensé qui admettrait de comparaître devant un tribunal bafouant
à ce point les principes les plus ordinaires de la justice ?
Un vainqueur juge son vaincu ! Il rédige le statut de son propre tribunal.
Il crée jusqu’à un nouveau droit provisoire et adapté aux nécessités du moment
.
Ce faisant il s’accorde les droits les plus exorbitants, à commencer par:
-
celui de se passer éventuellement de preuves.
- Il use, par ailleurs,
de la pratique de la responsabilité collective,
- et
de la rétroactivité des lois.
Il décrète qu’il n’y aura aucune possibilité d’appel.
Il décide que la peine de mort prononcée contre ses prisonniers sera exécutée
par pendaison et non par recours au feu du peloton d’exécution, etc. La liste des crimes commis contre le droit des gens par le Tribunal militaire
international de Nuremberg est longue.
Les plaidoiries, c’est un comble, ont été suivies par les réquisitoires alors
qu’en justice normale les réquisitoires précèdent les plaidoiries.
Les vaincus n’auront le droit, à la fin, qu’à une très brève déclaration.
Ces plaidoiries se sont achevées le 25 juillet 1946.
Le lendemain, prenait la parole le procureur général américain Robert
H. Jackson,
l’organisateur principal de cette mascarade judiciaire.
Il déclarait alors (
TMI, XIX, p. 414-416) :
«
En tant que Tribunal Militaire nous poursuivons l’effort de guerre
des nations alliées »
(This tribunal represents a continuation of the war efforts of the Allied Nations) » :
une manière comme une autre de lancer à la face du vaincu : « Vae victis ! ».
Il poursuit :
«
En tant que Tribunal International, nous ne sommes pas attachés
aux raffinements positifs de procédure de nos systèmes constitutionnels
ou juridiques respectifs, et nos règles n’introduiront pas de précédents dans
le système interne ou la justice civile d’aucun pays ». Autrement dit :
« Foin des raffinements ! Foin du droit positif !
Nous avons inventé ces règles pour notre propre usage, pour un temps limité,
et celles-ci, après usage, n’iront pas entacher les systèmes judiciaires d’un pays quelconque ».
Bien entendu, le langage du vainqueur portera constamment la marque
de la haute morale américaine telle que celle-ci s’illustrera plus tard dans
toute une série de guerres ou d’expéditions punitives pour aboutir, par exemple,
à la «
justice » de Guantanamo.
Je l’ai écrit et je le maintiens, ce procès d’un tribunal militaire international qui,
en réalité,
n’aura été ni un « tribunal », ni « militaire », ni « international » (mais strictement interallié et surtout américain)
a été au XXème siècle le crime des crimes.
En ce début du XXIème siècle il serait temps de s’en aviser.