ANNEXE à la LETTRE INFORMATIVE du 17 Novembre 1943
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Lettre de M. Yves LAIGROZ
Directeur du Jounal "BANLIEUE-SUD"
Travailleur libre en Allemagne
à M. Dominique SORDET
Breslau,le 17 Octobre 1943
Mon Cher Directeur et Ami,
Depuis de longs mois je médite des choses qu'aujourd'hui enfin je suis en mesure
de vous écrire.
Tant que j'étais derrière les barbelés il me répugnait de vous adresser ce que je considère
un peu comme une confession politique,et qui passant alors obligatoirement par la censure
du camp,aurait pu paraître comme une flagornerie à l'égard des gardiens que j'ai toujours
assez respectés pour ne rien solliciter d'eux.
Je tiens à vous dire,dès le début de cette lettre,qui sera parfois dure à mon amour propre d'écrivain politique,qu'au cours de trois années de captivité je n'ai eu aucun rapport
avec les officiers ou hommes de troupe qui me gardaient,à la différence de certains
"bouffeurs d'allemands" et superpatriotes patentés qui étaient journellement pendus
aux basques des officiers ou sous-officiers de garde pour solliciter de menues faveurs
et qui cherchaient à se faire pardonner ce petit manque de dignité par un verbalisme
violent,qui d'ailleurs ne trompait personne,pas même eux j'en suis sûr.
Ceci posé,armez-vous de patience car ce sera long.
Premier point:Je tiens à vous faire connaître le changement profond qui s'est produit
en moi depuis trois ans.
Je le reconnais sans le moindre souci de ménager mon amour propre;jusqu'en juin 1940,
je me suis complètement trompé sur le compte de l'Allemagne et des Allemands.
C'est vous,c'est votre ami Xavier de Magallon qui aviez raison.
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Inutile de vous dire combien j'ai souffert profondément de notre effondrement de juin 1940.
J'ai pleuré comme un gosse.
Le 17 juin à midi,à notre popote de Rennes,où nous devions être faits prisonniers le lendemain,
en écoutant le voix brisée du Maréchal annonçant officiellement ce qui depuis quelques jours
déjà nous apparaissait comme une nécessité inéluctable.
Volontaire pour le front dès le 11 mai j'avais obtenu mon affectation à un poste de l'Etat-Major
de la Xè armée formée sur la Somme pour barrer la route aux Allemands.
Pendant 5 jours j'avais couru à la recherche de ma formation,puis,au cours de liaisons
avec ce qu'on appelait pompeusement le corps d'armée,j'avais pu constater l'inutile effort
de nos hommes et la hâte insolente avec laquelle "nos amis" anglais s'enfuyaient vers les ports.
Depuis le 16 juin nous savions que nous étions personnellement perdus:notre armée,
ou plutôt ce qu'il en restait,ayant été sur sous les ordres de Paul Reynaud dirigés
vers ce réduit breton où les blindés de Rommel n'eurent qu'à nous cueillir.
Et c'est alors que je reçus mon premier choc : quand le 18 à midi les Allemands firent
leur entrée dans Rennes je m'attendais au pire.
Qu'allaient faire les "brutes nationales-socialistes" que nous avaient si fortement dépeintes
les articles de Paris-Soir de Kérillis,de Buré et la radio de Brossolette et de Giraudoux ?
Elles se présentèrent à nous sous les espèces d'un officier fort correct qui,étant venu
à notre rencontre, seul,tendit fort galamment la main au premier d'entre nous qu'il rencontra
et se fit présenter au général Robert Altemayer commandant l'armée,qui fut conduit en auto
au P.C.Allemand tandis que nous étions consignés sans aucune garde à notre propre P.C.
Deux jours après nous fûmes transférés avec le maximum d'égards à la caserne du Colombier
où nous restâmes plus de deux mois avant notre départ pour l'Allemagne le 7 Septembre 1940.
Pendant tout notre séjour en France nous avons joui du traitement le plus large,tant au point
de vue ravitaillement que du point de vue sorties.
Par contre,c'est alors que nous apprîmes le sort fait à notre marine à Mers-el-Kébir
par les Anglais.
En Allemagne la discipline fut plus sévère,mais largement tempérée par la bonne volonté
que mirent les officiers allemands à adoucir notre sort.Tant du moins que les façons d'agir
de certains d'entre nous ne contraignirent pas les Autorités à prendre des contre mesures destinées à renforcer la garde dont nous étions l'objet.
J'ai le regret de constater que les mesures de rigueur (d'ailleurs assez bénignes)
qui nous furent imposées au cours de ces trois années,le furent toujours à la suite d'actes d'indicipline de jeunes fous trop enclins à suivre les directives des quelques éléments juifs
et communistes qui se trouvaient parmi nous.
Dans les camps auxquels j'ai appartenu,Aberzongenvoch,Eulenberg et Mährisch-Trübow,
nous avons pu voir vivre autour de nous la population allemande.
Au cours de nos promenades il nous est arrivé de pouvoir parler avec des civils
ou avec nos sentinelles
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et toujours nous avons pu onstater que la France n'était nullement,comme on avait voulu
nous le faire croire,un objet de haine pour les Allemands.
Quand nos camarades marins et anciens combattants furent libérés,je fus le témoin étonné
et ravi de la joie réelle des officiers allemands de notre camp qui tinrent à leur serrer la main avant leur départ.
Lors des premiers bombardements de Paris,spontanément,le commandant du camp mit
des correspondances par avion à la disposition des intéressés.
En bref,les trois années que j'ai passées en captivité,si,j'en excepte la grosse souffrance
morale de l'exil et de la séparation d'avec les miens,ont été matériellement très supportables.
Nous n'étions ni mieux ni plus mal que dans beaucoup de casernes.
Nos gardiens allemands me sont apparus comme des hommes très compréhensifs,
toujours très corrects,parfois extrêmement patients.
Je n'entre pas dans plus de détails par écrit,vous comprendrez pourquoi,mais je compte
bien vous donner des renseignements plus amples quand j'aurai le plaisir de vous voir.
Depuis deux mois que je suis hors des barbelés,j'ai pu par une expérience plus large,
me rendre très complètement compte des véritables sentiments à notre égard des Allemands
de toutes extractions sociales.Je puis affirmer qu'il y entre pas mal d'amitié.
Depuis deux mois,je suis l'hôte d'une famille allemande,vingt autres officiers sont à Breslau
dans des conditions identiques,une centaine d'autres dans la région,quelques milliers
dans l'Allemagne entière,on ne sai quoi faire pour nous rendre la vie agréable et nous
faire oublier l'éloignement où nous demeurons de notre chère patrie et de tous les nôtres.
Nos camarades de travail,nos chefs (je suis occupé à la comptabilité dans une grosse firme électrique) sont pleins de prévenances et de gentillesses pour nous.
Propagande déclarent les irréductibles.Alors,désir d'entente des cercles dirigeants auquel
répond le consentement quasi unanime de la population.
Pendant plusieurs mois des camarades qui m'ont précédé ici sont demeurés en uniforme
(nous sommes maintenant en civil), ils furent frappés de l'espèce de sympathie muette
qui se manifestait à leur égard par des petits riens dans les trams,dans la rue,dans les cafés
et restaurants lorsqu'ils eurent depuis juin le droit de s'y rendre.
Moi-même qui ai dû attendre pendant quelques jours la possibilité de me mettre en civil,
j'ai remarqué certaines choses qui témoignaient de cette sympathie.Règlementairement
je devais le salut aux officiers allemands,de même grade que moi.
Rarement j'ai eu le temps d'arriver premier.
Les soldats et sous-officiers allemands ne nous devaient aucun salut: en fait,le plus souvent,
j'étais presque aussi salué qu'à Belfort au temps de la drôle de guerre.
Ce n'est rien,et c'est beaucoup....
Combien de fois au cours de ces deux mois,j'ai entendu exprimer sous des formes diverses
par des membres du parti,par des Allemands de tout âge et de toutes conditions,
par des hommes et des femmes le regret que tant de dissentiments et d'incompréhensions
se soient jetés à la traverse des relations franco-allemandes et l'espoir que la paix revenue permettra un rapprochement définitif entre deux peuples
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à qui tout : la géographie et les moeurs,les sentiments et les intérêts communs
commandent l'entente.
Et j'en arrive ainsi à mon second point quelle est la véritable attitude du peuple allemand
vis-à-vis du régime et quelle est la vie allemande en régime national-socialisme
après quatre ans de guerre.
Je n'ai pas,bien entendu,la prétention risible de sonder les reins et les coeurs.
Je ne puis prétendre à la connaissance d'aucun secret.
Ma source d'informations réside dans la vie de tous les jours,dans les spectacles de la rue,
dans les conversations que j'ai avec les uns et les autres sans plus.Je me contente d'écouter,
de voir et de m'efforcer de juger avec la même bonne foi qui fut jadis mon excuse dans l'erreur.
Ce que je vois chaque jour c'est un peuple calme,confiant dans le Führer,tendu de toutes
ses forces,de toutes son âme ver la victoire,un peuple qui,quoi qu'on en ai dit,
n'aime nullement la guerre pour elle-même ou pour les conquêtes qu'il en peut espérer
mais qui cherche à l'Est les débouchés et les approvisionnements qui lui sont indispensables
et que la politique de Versailles lui avait refusés,qui lutte surtout contre le communisme.
Il est incontestable que ce peuple avait tout intérêt à demeurer dans la paix.
Le national-socialisme a réalisé sur le plan social,sur le plan de l'embellissement du cadre
de vie paysanne et ouvrière,des oeuvres auprès desquelles les éméliorations sociales
françaises sont,il faut le reconnaître, insuffisantes.
La paix et la tolérance religieuses règnent ici de façon absolue quoi qu'on en ai dit.
Le dimanche,les vingt et quelques églises de Breslau sont pleines à craquer de 6 heures
du matin à 11 heures 30 et mon étonnement,chaque dimanche renouvelé,c'est de constater
le nombre formidable de communions d'hommes,de jeunes gens,sans parler des femmes,
qui ont lieu à la grand'messe de 10 heures.
Religieux et religieuses vaquent en costume religieux dans les rues.
Chaque dimanche à 9 heures a lieu un service religieux spécial pour les enfants,
jeunes gens et jeunes filles et un grand nombre de membres de la Hitlerjurgend en tenus
y assistent avant de se rendre aux réunions de leur groupement.
L'enseignement religieux est donné pendant les heures de classe si j'en crois l'horaire
affiché à la porte des églises.Les processions se déroulent dans les rues sous les yeux
déférents de la population.
J'ai personnellement assisté un dimanche après-midi à une procession à laquelle prenaient
part plusieurs milliers de personnes et qui se déroulait dans un faubourg ouvrier de Breslau.
Or,je vous rappelle que la Silésie est un pays où l'élément protestant est nettement prédominant.
La propagande purement religieuse s'exerce de façon absolument libre.
J'ai eu entre les mains un tract sur les devoirs des parents quant à l'éducation des enfants,
sur les droits respectifs de l'Eglise et de l'Etat qui paraissait à mon incompétence très nettement orthodoxe et qui,en tout cas,ne troublait en aucune façon ma conscience de catholique.
Ce tract était distribué à la sortie de la messe et je vous assure que les gens le prenaient
sans regarder autour d'eux pour voir si quelques membres de la Gestapo n'étaient pas
dans les alentours.
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J'ai entendu un sermon sur cette même question et j'ai eu la nette impression
que les prêtres allemands ne sont nullement contraints d'édulcorer la doctrine
traditionnelle de l'Eglise en la matière.
Mille regrets si mon témoignage de catholique pratiquant n'est pas en accord
avec les préventions injustifiées de politiques-chrétiens français...plus politiques
que chrétiens sans doute.
La foi n'est nullement gênée ici,j'ose même affirmer qu'après trois ans d'expérience
au camp où toutes facilités nous furent toujours accordées à ce point de vue,
et deux mois d'observation consciencieuse de la vie religieuse de la population civile,
qu'elle est grandement favorivée.
Par contre,L'opposition politique sous le couvert de la foi ne peut compter sur aucune espèce
de tolérance et c'est là que le bât blesse certains.En réalité l'Etat allemand,
l'Etat national-socialiste fait preuve à l'égard de la religion d'une neutralité réelle
et non verbale,mieux d'une neutralité bienveillante.
Toutes ces constatations,mon cher Directeur et Ami,m'ont montré à quel point vous aviez
raison et combien je m'étais trompé avant guerre.
Ma bonne foi d'alors et ma certitude d'aujourd'hui me font un devoir de vous le dire.
Pour l'instant je ne puis aller plus loin.En droit,je suis toujours prisonnier de guerre donc
pour le public sans une autorisation formelle de mes chefs hiérarchiques.
C'est pourquoi au lieu d'un article en forme,je vous adresse ces propos à bâtons rompus,
dans lesquels je puis au moins libérer ma conscience vis-à-vis de vous.
Laissez-moi par la même occasion vous exprimer ma totale admiration pour le beau courage
dont vous faites preuve en ces temps difficiles à la tête de notre chère Inter-France.
Par l'intermédiaire de l'
Echo de Nancy j'ai eu connaissance de quelques-uns
de vos magistraux articles,je tiens à vous dire que je suis pleinement,sans réserve,
d'accord avec vous.
Je n'avais qu'un seul moyen de mettre en oeuvre mes convictions nouvelles :
profiter de l'autorisation générale donnée par le Ministre de la Guerre français en mai 42
à tous les officiers français prisonniers de s'engager dans l'économie allemande
comme travailleurs volontaires.
Dès ce moment j'avais,avec de nombreux autres camarades,malgré certaines difficultés
dont je ne puis vous parler ici,posé ma candidature.Mon veu n'a été exaucé que le 17 août 43.
Excusez,mon Cher Directeur et Ami,le décousu de cette lettre ainsi que ma si mauvaise écriture.
Je souhaite vivement que votre route soit bonne et qu'ainsi votre bienfaisance action puisse
se développer dans l'intérêt de notre chère France...plus chère encore lorsqu'on en est
comme moi éloigné depuis trois ans.
Mes bonnes amitiés à tous ceux de mes anciens camarades qui sont encore à vos côtés.
Je présume que c'est le plus grand nombre et croyez tout à la fois à la fidélité de mon souvenir
et à la profonde sincérité de mon admiration.
Yves LAIGROZWikipedia:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_SordetSource:
Sans Concession,n°81-82,Mars-Avril 2013,pp.23-29.