La guerre aérienne des Alliés et l’effondrement du Reich.
Criminels et totalement indéfendables....
Les « bombardements de terreur » alliés sur l’Allemagne
étaient-ils moralement défendables ? Les deux clichés ci-joints (voir cliché 1,voir cliché 2) n’ont pas été pris
à Oradour-sur-Glane, en juin 1944.
Le premier a été pris à Kassel, en octobre 1943;le deuxième à Hambourg,
en août 1943. Ils montrent les restes carbonisés de trois civils allemands
(deux adultes et un bébé), victimes des « bombardements de terreur »
anglo-américains. Ils ont été publiés dans l’ouvrage de Jörg Friedrich :
Brandstätten. Der Anblick des Bombenkriegs (éd. Propyläen, 2003).
Les « bombardements de terreur »
L’Allemagne avant.
L’auteur a effectué un intéressant travail qui permet au néophyte de comprendre
ce que furent ces bombardements de terreur.
Dans une première partie, il publie des photographies prises entre 1898 et 1939,
qui montrent des villes d’Allemagne avant la guerre (pp. 8-37).
Au fil des pages,on découvre Halberstadt, Würzburg, Leipzig, Ulm, Köln,Lübeck, Magdeburg…
Ici, des enfants jouent;là des adultes vaquent à leurs occupations quotidiennes :
un boulanger qui livre du pain, une marché aux fleurs,une parade militaire…
Tout respire le calme et la tranquillité.
L’arsenal destructeur des Alliés.
Puis la guerre arrive et l’on voit Arthur Harris, l’homme qui coordonna
les bombardements de terreur avec une équipe de pilotes (p. 40),
Winston Churchill devant une immense forteresse volante (p. 41),
un équipage prêt à partir en mission (p.41) et un bombardier au décollage (p. 42).
Les pages suivantes montrent ces forteresses volantes en formation dans le ciel,
elles se dirigent vers l’objectif.Viennent ensuite les clichés montrant le largage
d’engins explosifs ou incendiaires (pp. 44-45),d’immenses bombes de 500 kg
tombent. (p. 46).
Tornades de feu.
Suivent des photographies hallucinantes prises au sol et montrant, dans la nuit,
des bâtiments en flammes:Berlin (des immeubles ravagés par le feu),
Hambourg (des pompiers après un « petit » bombardement en février 1943),
Brême (un tramway en flammes dans une rue incendiée ),Essen, Aachen, Nuremberg... (pp. 50-57)
Des avions alliés s’écrasent au sol.
Naturellement,toutes ces opérations ne pouvaient se dérouler sans que
des avions ne s’écrasassent au sol.
Après avoir montré la carcasse d’un Lancaster tombé près de Berlin en 1943
et le cadavre d’un pilote britannique relevé près de Hambourg en 1940 (p. 58),
l’auteur publie les clichés d’aviateurs britanniques,canadiens et anglais
faits prisonniers (pp.58-59,voir photo 1,voir photo 2).
Une autre photo montre une scène qui se passe à Essen, durant l’été 1944 :
un pilote américain tombé est emmené, sous bonne escorte,dans une baraque
en bois (voir photo). Sur son passage, des civils et des militaires allemands
se sont massés, adoptant une attitude parfois hostile ;l’un d’entre eux,
un homme âgé montre son poing (p. 59)
[Pour plus d’informations sur le traitement réservé aux pilotes alliés tombés
entre les mains des Allemands,].
La défense allemande contre les avions.
Après avoir montré les bombardiers anglais, l’auteur nous fait découvrir
en quelques images la défense allemande contre les avions (pp. 62-66) :
un chasseur Messerschmitt BF 109, d’immenses projecteurs destinés à repérer
les appareils ennemis, une mitrailleuse anti-aérienne, des canons de 88 mm
en action, des civils auxquels on montre une bombe incendiaire…
Des détenus des camps utilisés pour déblayer.
Sur la page suivante, au-dessous d’un cliché montrant d’énormes bombes
anglaises et américaines (plusieurs centaines de kg) retrouvées non explosées
après un bombardement,est publiée une photographie insolite :
autour d’une bombe non explosée, des déportés en tenue rayée posent, décontractés,
en compagnie de militaires allemands.La légende porte simplement :
« KZ-Bergungskommando », ce que l’on peut traduire par :
« Commando de sauvetage issu d’un camp de concentration » (voir photo).
Ces prisonniers étaient très probablement employés à ramasser les énormes
bombes retrouvées intactes après les raids aériens. Cela n’a rien de surprenant :
on sait depuis toujours que les Allemands ont utilisé des déportés pour différentes tâches
après les bombardements. A la page 100,d’ailleurs,J. Friedrich en montre
deux qui déblayent un bâtiment touché à Brême le 13 juin 1943.
Bien que l’on ne puisse en tirer aucune conclusion générale, il est tout de même intéressant
de souligner que ces déportés ne sont pas réduits à l’état d’épaves terrorisées
et vêtues de loques;ils sont propres,bien chaussés,bien vêtus
et paraissent en bonne santé.
La Défense passive.
Après la défense active contre les avions, J. Friedrich nous fait découvrir
la défense passive au sol.Les clichés défilent, montrant des équipes
de secouristes en action (pp. 68-75) :des gens casqués manient des lances
à incendie à Hambourg et à Kassel ; trois garçons appartenant aux Jeunesses hitlériennes
arrosent un incendie ; devant un camion de pompier,des jeunes filles assemblent de gros tuyaux;
à Berlin, trois hommes font la chaîne avec des seaux
sur une maison dont toutes les vitres ont volé en éclat ;une équipe de secouristes pose
dans un hôpital détruit et incendié à Cologne;deux sauveteurs visiblement exténués et abattus,
munis de masques à gaz et d’une lampe électrique,
semblent revenir de mission (Berlin, juin 1943)…
Abris pour la population
.
L’auteur aborde ensuite les mesures prises par les autorités pour (tenter de)
protéger la population contre les bombardements. Outre la construction
de blockhaus en béton armé (comme à Hanovre, p. 78), les Allemands reconvertissaient
d’anciens bâtiments très solides en abris après avoir muré
les ouvertures (« l’Arche de Noé » à Brême [pp. 79 et 94], le « Zoo-Bunker »
à Berlin [pp. 84-85]).
Certains abris construits spécialement étaient dotés de tout ce qu’il fallait pour
vivre le plus confortablement possible : génératrices de courant, aérateurs
(pp. 90-91), espaces avec des tables munies de nappes et ornées de fleurs (p.89),
dortoirs avec lits superposés comprenant matelas et couvertures (p. 88),
salles d’opération pour les blessés (p. 91 ; voir photo).
Souvent,toutefois, les abris n’étaient que de simples galeries souterraines munies,
le long des parois, de bancs où les gens s’asseyaient en attendant la fin
de l’alerte (pp. 80-81).
Ailleurs, d’anciennes caves avaient été reconverties (p. 82);
certaines ressemblaient à des églises avec leurs rangées de bancs placés
perpendiculairement aux murs (p. 81 ; voir photo).
Dans d’autres, plus petites, des chaises et des fauteuils avaient été placés
le long des parois et les gens se retrouvaient assis autour d’une simple table (p. 83).
J. Friedrich publie certaines photographies montrant ces civils terrés.
Berlin 8 août 1944, l’alarme a retenti : une mère et ses deux enfants
descendent dans une galerie basse. Ils emportent des couvertures,
des valises et leur radio. La mère semble anxieuse, le jeune garçon résigné…(p. 82).
Dans le bunker du zoo, des dizaines de voitures d’enfants sont entassées ;
au premier plan, une jeune mère tient son bébé dans ses bras (p. 85).
Dans un autre abri, une dame se maquille (p. 88) ;
- une jeune fille se couche, souriante (p. 88) ;
sur les genoux d’un homme âgé, une petite fille joue,
insouciante (p. 89). Mais beaucoup de visages sont graves ou tristes :
dans un abri de Hambourg, un homme se penche et parle à une femme
visiblement désemparée, le regard vide (p. 89)…
A la page 93, une photographie saisissante montre l’impact d’une bombe
de 1 000 kg sur un bunker à Hambourg, par suite du bombardement
du 28 juillet 1943 (100 000 morts environ).
Touché de plein fouet,le mur en béton armé n’a pas résisté.
Arrachant l’armature interne, le projectile a creusé un trou béant
de 1,80 x 2,5 m. Preuve que les bunkers n’étaient pas à toute épreuve.
Dans les villes détruites après les bombardements.
Les pages suivantes sont consacrées à l’après bombardement.
A Berlin, dans la nuit éclairée par les lueurs des incendies,une équipe
de soldats armés de pelles part déblayer les ruines (p. 98).
A Hambourg, après le grand bombardement de juillet 1943, une équipe
inspecte les gravats (p. 99).
A Kassel, certains objets qui ont pu être sauvés des maisons détruites
sont mis sur le trottoir (p. 105).
Les victimes.
Mais ce que l’on recherchait surtout, c’était les victimes.L’auteur commence sobrement,
avec un cliché montrant,sur le mur d’une maison de Hambourg
gravement détruite, une simple inscription : « Où est ma mère ? »
(Wo ist meine Mutter ?), signé Robert Zöllner (p. 106 ; voir photo).
En face, une photographie prise à Berlin montre une équipe de secours
qui sort un blessé d’une maison (p. 107).
- Puis viennent des images plus terribles :une femme morte sur un trottoir,
face contre terre (p. 108) ;
- un cadavre à demi décomposé extrait d’un sous-sol à Kassel
en octobre 1943 (p. 109) ;
- des ossements humains trouvés dans
une cave à Leipzig (pp. 110-111) ;
- des corps découverts au cours du déblaiement à Nuremberg (p. 112) ;
- des cadavres devant l’entrée d’un abri à Dortmund en octobre 1944 (Id.) ;
- un cadavre de femme déposé sur une grille par des soldats (p. 113)…
A la page suivante,un déporté muni de gants en caoutchouc manipule
des restes humains carbonisés.
Suivent deux clichés pris à Kassel en octobre 1943 :
- sur le premier, un homme recouvre d’une poudre blanche
(vraisemblablement de la chaux) le cadavre d’une femme retiré
des décombres ;
- sur le deuxième, un soldat dépose dans une grande bassine
un reste humain carbonisé alors qu’au premier plan,
on distingue nettement le bas d’un corps (deux jambes et bassin).
Tournons la page. Une maison détruite à Hambourg s’offre à notre regard.
Sur le mur encore debout, on a écrit :
« 40-50 morts » (40-50 Tote).
Une flèche indique l’entrée d’une cave qui a déjà été déblayée.
(p.118;voir photo).
Il ne reste plus qu’à retirer les corps.
En face, un cliché montre, dans une maison de repos berlinoise, un cadavre
de femme retrouvée dans son lit.
Au-dessous, deux femmes et une fillette gisent dans une cave à Hambourg :
elles sont mortes asphyxiées par le monoxyde de carbone (p. 119;voir photo).
Puis apparaissent des cadavres de soldats. Des Allemands ?
Non, des officiers américains du Stalag XIIA morts sous les bombes de leurs compatriotes
le 23 décembre 1944 (le bombardement fit 26 morts et 100 blessés parmi
les prisonniers de ce camp ;p.120).
Nous en arrivons alors aux images les plus terrifiantes ; les morts succèdent
aux morts, asphyxiés, brûlés, déchiquetés :un garçon des Jeunesses hitlériennes recouvre
d’un matelas le cadavre d’une jeune enfant (p. 121) ;
un tas de cadavres à Hambourg dont certains, carbonisés, ressemblent
à des statues de bronze (p. 122) ; des gens asphyxiés et à moitié brûlés
dans une cave (p. 123) ; des crânes et des ossements humains découverts
en août 1943 dans un sous-sol à Hambourg (le grand bombardement datait
du 30 juillet) ; des cadavres carbonisés à Brême et à Hambourg (pp. 124,
126 et 127 ; voir photo pour Brême ;voir photo pour Hambourg) ;
les restes carbonisés d’une femme et d’un bébé à Hambourg (p. 125,voir photo) ;
des cadavres d’animaux au zoo de Berlin (pp. 128-129) ;
des corps d’hommes et de femmes à Kassel, Leipzig et Nuremberg,
ils ne portent aucune trace du brûlure,la mort a dû survenir par asphyxie
(pp. 130-131) ;des cadavres alignés pour identification à Nuremberg
en août 1943 (p. 131, voir photo) ;
les restes carbonisés d’une femme mis en bière à Kassel (voir photo)…
L’auteur termine avec les clichés très connus de Dresde:
les cadavres et les bûchers en plein air,sur des poutrelles en fer (pp. 134-135).
Suivent deux clichés pris à Pforzheim en 1945.Sur des ruines, des croix
et des écriteaux ont été plantés avec les noms de victimes (pp. 136-137).
Les victimes dans le camp d’en face.
.
Par obligation, opportunisme ou honnêteté, l’auteur poursuit en s’intéressant
aux victimes d’en face. Il montre des aviateurs anglais morts dans la chute
de leur appareil (p. 139), une fabrique de bombes allemande (p. 140),
et trois clichés pris suite aux attaques allemandes sur l’Angleterre :
quatre sauveteurs emmènent le cadavre d’une londonienne tuée par l’explosion
d’un V2 en mars 1944 ; des cadavres sont glissés dans des sacs à Catford,
après que des bombes furent tombées sur une école;des juifs religieux lisent
dans un abri à Londres (p. 141).
Vient ensuite le cliché très connu d’une jeune polonaise de Varsovie en pleurs
devant le cadavre de sa mère tuée lors du bombardement de la ville par
la Luftwaffe le 25 septembre 1939 (p. 142).
Aucun parallèle ne peut être établi entre le bombardement de Varsovie
ou l’envoi de fusées « V » sur l’Angleterre et les « bombardements de terreur »
alliésLes bombardements à l’aide des fusées « V » ne furent qu’une mesure
de représailles désespérée.
Là encore, ces documents appellent plusieurs commentaires.
On dresse souvent un parallèle entre les bombardements de terreur
anglo-américains et les attaques de V1 et de V2 sur l’Angleterre.
C’est une erreur. Les fusées « V » furent envoyées dans les derniers mois
de la guerre à titre de représailles, dans l’espoir (vain) qu’elles permettraient
d’obtenir une diminution des raids terroristes et dans l’attente d’un très
improbable retournement de situation. A Nuremberg, H. Göring le concéda
sans aucune difficulté. Après avoir rappelé que les Alliés avaient par avance
refusé toute offre de paix allemande et qu’ils désiraient forcer le Reich
à une reddition sans condition[
1],
il fit au procureur général américain les réponses suivantes :
ACCUSÉ GÖRING.
[…] Si je n’ai aucune chance de conclure la guerre par
des négociations, alors il est inutile de tenter de négocier et il faut déployer
tous ses efforts pour essayer de forcer le destin en faisant appel aux armes […].
Si [en 1945] j’avais disposé de bombardiers et de carburant, j’aurais,
bien entendu, continué jusqu’à la dernière minute, quelles qu’eussent été
nos chances, les attaques de ce genre [bombardements] comme mesures
de représailles contre les attaques qui étaient dirigées sur les villes allemandes.
M. JUSTICE JACKSON.
En ce qui concerne les attaques par les avions robots,
y eut-il encore des avions robots après le mois de janvier 1945 ? ACCUSÉ GÖRING.
Grâce à Dieu, nous avions encore une arme dont nous pouvions
nous servir ! Je viens de dire qu’aussi longtemps que durerait le combat,
nous devrions riposter. En tant que soldat, je puis seulement regretter que
nous n’ayons pas eu suffisamment de ces bombes V1 et V2, car une diminution
des attaques sur les villes allemandes ne pouvait s’obtenir qu’en infligeant
à l’ennemi des pertes aussi lourdes que les nôtres […]. Aussi longtemps que
mes ennemis me menacent et exigent une reddition sans condition, je me bats
jusqu’à mon dernier souffle, car il ne reste rien, à l’exception peut-être de la
chance de voir changer la destinée, d’une manière quelconque, bien que la
situation semble désespérée [TMI, IX, 459-460].
On le voit,loin d’être une stratégie minutieusement préparée et mise en place
dans le but d’obtenir une victoire militaire par l’écrasement total de l’ennemi
ce que furent les bombardements de terreurs alliés,le lancement de fusées «V»
fut une ultime manœuvre désespérée,décidée et réalisée dans l’urgence avec
un manque de moyens manifeste. Un peu comme l’homme qui, entravé et sur
le point de mourir étranglé par un agresseur ayant juré sa perte, lui décoche
un ultime coup avec son pied resté libre.
La vérité sur le bombardement de Varsovie.
Concernant Varsovie,il faut savoir que depuis le 24 septembre, la Pologne
était battue. Il ne restait que trois poches de résistance : Modlin,
la presqu’île de Héla et Varsovie.
Cette dernière ville étant totalement encerclée,les Allemands lui demandèrent
de se rendre. A Nuremberg, H.Göring expliqua :
"
On refusa de rendre la ville.Je me rappelle au contraire les appels qui ont
encouragé toute la population civile de Pologne ainsi que les habitants
de Varsovie à offrir une résistance, qu’il s’agisse des militaires, mais aussi
des civils, ce qu’on sait être en contradiction avec le Droit international.
Nous avons encore adressé un autre avertissement. Nous avons commencé
à envoyer non des bombes, mais des tracts dans lesquels nous demandions
à la population de cesser le combat. Puis, comme le commandant demeurait
sur ses positions, nous avons demandé l’évacuation de la population civile,
avant le bombardement. Nous avons reçu un message par radio selon lequel
le commandant désirait envoyer un parlementaire ; nous avons consenti mais
nous l’avons attendu en vain. Nous avons alors demandé et obtenu que le corps diplomatique
et tous les neutres quittent Varsovie par une route que nous avions indiquée.Ce qui fut fait.
Puis,après avoir déclaré dans un dernier appel que
nous allions être dans l’obligation d’attaquer sérieusement la ville si aucune
reddition ne survenait, nous avons commencé à attaquer d’abord les forts,
puis les batteries disposées dans la ville et enfin les troupes.
Telle fut l’attaque de Varsovie." [Ibid. , p.362].
En agissant ainsi,les Allemands avaient parfaitement respecté la Convention
de La Haye sur les « lois et coutumes de la guerre sur terre »,
et plus particulièrement l’article 26 qui stipulait :
Le commandant des troupes assaillantes,avant d’entreprendre le bombardement,
et sauf en cas d’attaque de vive force,devra faire tout ce qui dépend de lui
pour en avertir les autorités. Ces rappels démontrent que les civils tués à Varsovie ne sont pas morts suite
à des bombardements de terreur, mais suite à des opérations strictement
militaires ; la faute revient en outre aux autorités polonaises qui refusèrent
d’évacuer la ville[
2].
Par conséquent, on ne saurait dresser un parallèle entre Varsovie
et Hambourg ou Dresde.
La vie immédiatement après les bombardements.
Poursuivant son exposé,J. Friedrich consacre un chapitre à l’organisation
de la vie peu après les bombardements. Après avoir montré une infirmerie
mobile de la Croix-Rouge dans laquelle des premiers soins étaient administrés,
puis un bloc opératoire où deux blessés sont opérés, l’auteur s’intéresse
au ravitaillement des populations sinistrées :distribution d’eau à Hambourg
et à Braunschweig (pp. 150-151), préparation de soupes populaires dans
d’immenses autocuiseurs (p. 154), marmites chauffées avec des moyens
de fortune à Berlin en 1944 (p. 156), garçons des Jeunesses hitlériennes
les bras chargés de pains qu’ils vont distribuer (p. 156), vieilles femmes confectionnant
des sandwichs à la chaîne à Berlin en février 1945 (p.158),
distribution de rations de saucisses à Hambourg en 1943 (p.159),
distribution de soupe chaude à Berlin, à Brême et à Kassel (pp.155,160 et 161),
sinistrés mangeant leur soupe en plein air,debout ou assis sur des caisses
à Kassel en octobre 1943 (voir photo):
Ruines et villes englouties.
La chapitre suivant est consacré aux destructions matérielles causées par les bombardements.
Bien qu’on n’y voie aucun cadavre, les clichés sont terrifiants. Immeubles éventrés,
pans de murs branlants, toits effondrés, maisons soufflées, intérieurs dévastés,
cimetière retourné, églises détruites, bibliothèque universitaire rasée, route suspendue
à demi effondrée, carcasses calcinées de wagons,
de trams et de voitures (pp. 168-183).
Quatre clichés aériens montrent des villes englouties :Rostock, Darmstadt,
Nuremberg, Hambourg (pp. 184-185, voir photo de Hambourg).
Suivent des photographies prises dans les rues ou du haut de certaines ruines.
Au fil des pages,ainsi, le lecteur évolue dans ces villes dévastées devenues
des cités fantômes : Mannheim, Paderborn, Hildesheim, Berlin, Nuremberg
(voir photo), Cologne, Pforzheim, Hanovre…Telles des ombres, quelques civils apparaissent
au milieu des ruines (pp. 186-195).
Le quotidien des civils dans les ruines.
J. Friedrich s’intéresse ensuite au quotidien des civils dans les villes englouties.
Car la vie devait continuer.A Remagen, à Hambourg et à Frankfort,des gens
marchent dans des rues encombrées de gravats (pp. 203-204).
A Dresde,après le grand bombardement de février 1945, des vieillards déblayent
les voies en entassant des briques (p. 210).
A Cologne, une femme a sorti tout le mobilier et le linge qu’elle avait pu sauver
de son habitation détruite : quelques chaises, des matelas, un sommier,
une table cassée, des planches,une bassine en zinc…
Assise devant ce bric-à-brac,elle attend (p. 211, voir photo).
Les immeubles étant détruits, la vie s’organisait dehors.A Cologne, des soldats
en permission discutent assis à une table d’intérieur désormais installée
en plein air (p. 209).Ailleurs, une petite fille dort sur un matelas mis dans la rue ;
derrière elle,une femme s’allonge comme elle le peut pendant qu’une vieille
est assise, emmitouflée (p.208, voir photo):
Privés de leurs locaux, de nombreux commerçants exposaient ce qui leur restait
sur les trottoirs.L’auteur publie quelques clichés insolites :un étalage de vaisselle
en pleine rue à Brême en 1942 (p. 203) ; des mannequins avec des costumes
sur le trottoir en juin 1943 (p. 205) ;la caisse d’une pâtisserie et quelques
présentoirs à gâteaux posés à même le sol, dans la rue, à Berlin en juin 1943
(p. 209) ; un marchand de conserves a refait son magasin dans une cave :
il expose à même le trottoir (p. 211, voir photo).
(Afin de secourir les sinistrés, les dirigeants allemands expédièrent dans le Reich
du mobilier des habitations juives laissées vacantes notamment en France ;
en 1945, ces expéditions furent présentées comme des opérations de pillage.
J. Friedrich publie également quelques photos prises à Berlin en février 1945.
Dans une rue bordée de bâtiments détruits,un groupe de femmes et des enfants chargés
de bagages attend ; certains portent des lunettes de protection (p. 205).
A la gare, on procède, dans le calme, à des évacuations : deux femmes
avec bagages et landaus attendent elles aussi (p. 213).
Une dame et sa petite fille se tiennent près d’une valise et de quelques sacs (p. 212)…
Les clichés qui suivent montrent Josef Goebbels qui s’entretient avec un blessé
à Essen en 1943 (p. 219), H. Göring qui prend un bain de foule à Berlin (Id.),
la visite de Gauleiter à Kassel en octobre 1943 (pp. 220-221).
Puis viennent les photos des cérémonies d’enterrement à Braunschweig,
à Hambourg, à Paderborn (pp. 222-223).
Dresde:13/14 février 1945:crématoire à ciel ouvert:
https://www.youtube.com/watch?v=HBcPDqmnjVs Le dernier chapitre est consacré à la reconstruction. L’auteur montre des villes,
des rues ou des bâtiments tels qu’ils étaient avant la guerre ou après les bombardements,
et tels qu’ils sont aujourd’hui.
Les « bombardements de terreur » face à la morale
La principale question qui se pose.
Comme on pouvait s’y attendre, la parution de ce livre a provoqué d’intenses
débats outre-Rhin.D’après notre correspondant allemand qui nous a rendu
compte de la polémique,J. Friedrich que l’on ne peut soupçonner de sympathie
envers le national-socialisme;il a notamment collaboré à la rédaction
de « l’Encyclopédie de l’Holocauste » a été attaqué au motif qu’il présentait
les Allemands comme… des victimes. Le fait que nos voisins se disputent sur
ce point est symptomatique du national-masochisme qui règne là-bas.
Victimes, les Allemands l’ont été, c’est évident.
La vraie question qui se pose est la suivante:
les « bombardements de terreur »
anglo-américains étaient-ils moralement défendables ? Pour y répondre,il est intéressant d’aborder le problème sous l’angle
du Droit international.
La quatorzième convention de La Haye
Elle prohibe les bombardements aériens.
Très peu de gens le savent,il existe une quatorzième convention de La Haye,
signée comme les autres le 18 octobre 1907, qui interdisait la décharge
« de projectiles et d’explosifs à partir de ballons ».
Les signataires se déclaraient d’accord pour interdire (je souligne)
«
la décharge de projectiles et d’explosifs à partir de ballons
ou par d’autres nouvelles méthodes d’une nature analogue ».
La dernière partie de la phrase est capitale:de façon évidente,le législateur
avait anticipé les progrès de l’aviation et avait par avance interdit
les bombardements.
Cette convention a été ratifiée par l’Angleterre et les Etats-Unis le 27 novembre
1909 (l’Allemagne, quant à elle, avait signé une première convention
sur le sujet le 4 septembre 1900).
Par conséquent,on peut dire qu’en adoptant la stratégie des
« bombardements de terreur »,les Anglo-américains ont renié leur signature
et violé le Droit international.
L’objection qui peut être soulevée.
Mais certains pourront répondre que,dans les faits, cette quatorzième convention
avait cessé d’exister dès 1918, puisque tous les belligérants avaient développé
pendant la première guerre mondiale une aviation de chasse et de bombardement.
L’annexe à la quatrième convention de La Haye
Son article 25 interdit le bombardement des villes ouvertes.
Admettons. Mais il convient alors de rappeler que, dans son article 25,
l’annexe à la quatrième convention de La Haye du 18 octobre 1907
(qui fixe les « lois et coutumes de la guerre sur terre ») stipule :
Il est interdit d’attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit,
des villes, villages, habitations qui ne sont pas défendus.
Or, il va de soi que, notamment dans les derniers mois de la guerre,
l’Allemagne était absolument sans défense face aux bombardiers
anglo-américains.
Par conséquent, personne ne peut contester que les Alliés ont sciemment
violé le Droit international.
Première objection : la Convention s’intéresse à la guerre sur terre.
On pourra objecter que l’annexe à la quatrième convention de La Haye s’intéresse
à la guerre sur terre, pas dans les airs.
L’article 1er de ladite convention déclare en effet (je souligne) :
Les Puissances contractantes donneront à leurs forces armées de terre
des instructions qui seront conformes au Règlement concernant les lois
et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la présente Convention.
Pourquoi elle doit être rejetée.
Cet argument doit cependant être rejeté pour trois raisons qui se complètent :
1°) En tant qu’il opère le bombardement d’une ville sans rencontrer de résistance
aérienne notable,un avion participe,de fait, à la guerre sur terre.
2°) Si, en 1907, les armées de l’air avaient existé, le législateur leur aurait
interdit les bombardements.
Je fonde ma conviction non seulement sur la quatorzième convention de La Haye
citée plus haut, mais également sur la neuvième, qui réglait
« le bombardement par les forces navales en temps de guerre ».
L’article 1, § 1, énonçait :
Le bombardement par des forces navales de ports,villes,villages,
habitations,ou constructions non défendus est interdit.
C’est clair:en 1907, le législateur avait interdit aux deux armées existantes
(l’armée de terre et l’armée de mer) le bombardement d’objectifs non défendus.
Dès lors, on peut être sûr que si l’armée de l’air avait existé, il lui aurait signifié
la même interdiction.
La Conférence de Washington confirme.
3°) D’ailleurs, de décembre 1922 à février 1923, à La Haye, une commission
de juristes nommée par la Conférence de Washington fut chargée de combler
le vide laissé en 1907 et de rédiger un code de la guerre aérienne.
Elle rendit un texte précis qui consistait en 62 articles.
Les articles 22 et 24 stipulaient :
Article 22. Les bombardements aériens destinés à terroriser la population civile
ou à détruire ou endommager la propriété privée qui n’a pas de caractère militaire,
ou à blesser des non-combattants, sont prohibés.
Article 24.
1. Les bombardements aériens ne sont licites que s’ils dirigés contre un objectif militaire,
c’est-à-dire un objet dont la destruction ou l’endommagement
constituerait un avantage militaire distinct pour le belligérant.
2. De tels bombardements ne sont licites que s’ils sont dirigés exclusivement
contre les objectifs suivants : forces militaires ; ouvrages militaires ;
établissements ou dépôts militaires ; usines constituant des centres importants
ou notoires de la fabrication d’armes, de munitions ou de produits nettement militaires ;
lignes de communication ou de transport employées dans des buts
militaires.
3. Le bombardement de villes, hameaux, villages, maisons habitées ou bâtiments
qui ne sont pas dans le voisinage immédiat des opérations de forces terrestres
est prohibé. Dans le cas où les objectifs spécifiés au paragraphe 2 sont tellement situés
qu’ils ne peuvent pas être bombardés sans le bombardement indiscriminé
de la population civile, la force aérienne doit s’abstenir du bombardement.
4. Dans le voisinage immédiat des opérations de l’armée de terre,
le bombardement des villes, hameaux, villages, maisons habitées ou bâtiments
est licite pourvu qu’il y ait une présomption raisonnable que la concentration
militaire est suffisamment importante pour justifier ce bombardement, eu égard
au danger causé ainsi à la population civile.
Ces deux paragraphes condamnent les « bombardements de terreur »
tels qu’ils ont été pratiqués par les Anglo-américains pendant
la deuxième guerre mondiale.
Nouvelle objection:le code de guerre aérienne n’a ni signé,ni ratifié.
Mais j’entends déjà la réponse qui me sera faite en face :
vous invoquez, me dira-t-on, la Conférence de Washington, mais vous oubliez
de dire que le code de la guerre aérienne n’a été ni signé, ni ratifié par
les gouvernements[
3]. Dès lors, il n’avait aucune force de loi…
Troisième objection plus générale : H. Göring lui-même a déclaré
que les conventions de La Haye ne s’appliquaient plus lors de la deuxième
guerre mondiale.
…Quant aux conventions de La Haye, même à admettre qu’elles interdisent implicitement
les bombardements aériens des villes ouvertes, vous oubliez là
encore de dire que l’évolution de la technique (qui avait transformé les conflits
en guerres totales) les avait rendues caduques. Ce n’est pas nous qui le disons,
mais vos « amis ».
L’exposé de Göring à Nuremberg.
A Nuremberg, H.Göring a longuement expliqué que les textes de 1907
n’avaient plus cours en 1939. Le 15 mars 1946, il a déclaré :
"C'est avant le conflit polonais que j'ai pour la première fois pris connaissance
des dispositions de La Haye concernant la guerre sur terre.
J'ai alors regretté de ne pas les avoir connus plus tôt. J'aurais dit au Führer
que les dispositions de ces règlements interdisaient toute guerre moderne
et que l'évolution actuelle de la technique contraignait tout belligérant
à se mettre en contradiction avec ces obligations établies […] en 1907.
Il fallait ou les annuler ou fixer un nouveau règlement établi en tenant
compte de l'évolution de la technique.
Mes raisons sont les suivantes : à mon avis, les règlements de La Haye
sur la guerre sur terre étaient absolument justifiés en 1907.
De 1939 à 1945, il ne s'agissait plus uniquement de guerre sur terre,
la guerre aérienne a fait son apparition, elle n’avait pas été prévue à La Haye,
et elle a créé une situation absolument nouvelle qui a bouleversé les conditions existant
à cette époque. Mais ce n'est pas là le point essentiel ; à mon avis,
la guerre moderne, totale, se fait dans trois domaines : la guerre des soldats
sur terre, sur mer et dans les airs, la guerre économique qui est devenue partie intégrante
de toute stratégie moderne et, troisièmement, la guerre de la propagande qui en est aussi
un domaine important. Si, en bonne logique, on accepte ces bases,
il en résulte un certain nombre de conséquences qui pourraient être, à la lettre,
une violation de la logique [de La Haye], mais qui n'en sont pas en réalité.
Si les règlements de la guerre sur terre de la Convention de La Haye prévoient
que les armes de l'adversaire sont considérées comme butin de guerre[4]
il convient tout de même de dire qu’aujourd'hui, dans la guerre moderne,
les armes de l'adversaire n'ont souvent qu'une valeur de ferraille alors que
les matières premières, l'acier, l'aluminium, le cuivre, le plomb, l'étain, semblent
et sont beaucoup plus importants comme butin de guerre que les vieilles armes
prises à l'adversaire. Mais il ne s'agit pas seulement de matières premières
sans considération de savoir à qui elles appartiennent.
Les règlements relatifs à la guerre sur terre de la Convention de La Haye
stipulent , je ne me les rappelle pas très bien maintenant ,que les choses indispensables
peuvent être réquisitionnées, mais seulement avec indemnisation[
5].
Cela non plus n'est pas un facteur décisif. Ce qui est décisif, c'est que
dans cette guerre moderne, dans cette guerre économique qui est la base
de toute conduite de la guerre, les produits alimentaires sont absolument
nécessaires et il faut aussi considérer comme indispensables, dans le domaine industriel,
les matières premières. C'est pourquoi on peut considérer qu'ils sont saisissables.
En outre, les usines et les machines font également partie du domaine de la guerre économique.
Si elles ont pu servir à l'adversaire dans le cadre de l’industrie de l'armement ou de la conduite
de la guerre, elles doivent profiter à celui qui, par le moyen d'une décision militaire,
est entré ultérieurement en possessions de ces moyens de production,
qu'il s'agisse de la durée d'un armistice ou de territoires occupés.
Et, ici aussi, la question de la main-d'œuvre joue évidemment un rôle beaucoup
plus grand dans la guerre économique que lors guerres qui ont servi d'exemples
pour établir les dispositions de la Convention de La Haye sur la conduite
des opérations sur terre. En 1907, les guerres les plus récentes, la guerre
russo-japonaise et peut-être la guerre des Boers, menées dans des circonstances
très différentes l'une de l'autre, n’avaient eu lieu que dix ans plus tôt et
pouvaient servir d'exemples.
A cette époque, c'était une guerre entre armées, à laquelle la population civile
prit plus ou moins part. Mais elle ne peut, se comparer à la guerre totale moderne,
qui touche tout le monde, fût-ce un enfant, du fait des bombardements aériens.
A mon avis, la main-d'œuvre,les travailleurs et leur emploi , fait partie intégrante
de la guerre économique. Cela ne veut pas dire que le travailleur doit être
exploité à tel point qu’il en subisse des dommages corporels, mais seulement
que sa capacité de production soit pleinement utilisée. […].
La question de la déportation des travailleurs devait donc être considérée
du point de vue de la sécurité. Nous étions obligés de nourrir, dans la mesure
du possible, l'ensemble du territoire occupé. Nous devions aussi utiliser
la main-d'œuvre et, en même temps, envisager le déplacement de ceux
surtout qui, n'ayant pas de travail dans leur propre pays, représentaient
un danger, du fait de la résistance qui s'organisait contre nous.
Si ces différentes classes ont été déportées en Allemagne pour travailler,
ce fut principalement pour des raisons de sécurité, afin qu’elles ne restent
pas oisives dans leur pays et, partant, soient utilisées pour la lutte contre
nous, mais au contraire pour que nous puissions utiliser leurs services à notre avantage
dans la guerre économique.
En troisième lieu, je désire le mentionner très brièvement et en conclusion,
la guerre de propagande. Un des chefs de l'Acte d'accusation déclare que
nous avons réquisitionné les postes de radio. C'est parfaitement exact.
Car aucun pays n'a ressenti plus profondément que l’Allemagne l'influence prépondérante
de la propagande ennemie, dont les effets se propageaient
jusque dans les moindres recoins du pays. Tous les dangers suscités par
les mouvements de résistance clandestine, la lutte des partisans,
les organisations de sabotage, avec toutes leurs conséquences et,
finalement aussi, cette atmosphère de haine et d'amertume ont atteint
leur paroxysme, dans cette guerre, par la lutte radiophonique.
De même, toutes les atrocités et autres actes de ce genre, qui ne sauraient
être tolérés, sont, en dernière analyse, si l'on considère la question objectivement,
principalement le résultat de la guerre de propagande.
Par conséquent, le règlement de la Convention de La Haye sur la conduite
de la guerre ne peut, à mon avis, servir comme base pour la guerre moderne,
car il ne prend pas en considération les principes essentiels de cette guerre :
la guerre aérienne, la guerre économique, la guerre de propagande."
[TMI, IX, 386-388].
L’appui donné à cet exposé par un avocat allemand.
H. Göring ne fut pas le seul à tenir ce discours.
Dans sa plaidoirie, l’avocat de Rudolf Hess et de Hans Frank,
Maître Alfred Seidl, a expliqué :
[…] il faut encore ajouter quelque chose à propos de la Convention de La Haye
de 1907 sur la guerre sur terre. Les principes qu’elle contient sont inspirés
des expériences tirées des guerres du XIXème siècle.
Ces guerres se limitaient principalement aux forces armées qui y participaient directement.
La première guerre mondiale, déjà, a abandonné ce cadre,
et non seulement du point de vue de l’extension dans l’espace des opérations guerrières.
La guerre devint plutôt un combat d’anéantissement des peuples intéressés dans lequel
chacun des deux partis belligérants mettait en œuvre la totalité de son potentiel de guerre
et toutes ses forces matérielles et morales.
Devant le perfectionnement de la technique de guerre, la deuxième guerre
mondiale devait forcément briser le cadre prévu de la Convention de La Haye
pour la conduite de la guerre […]. Dans ces conditions,on ne peut plus employer les modalités de la Convention
de La Haye sur la guerre sur terre,même dans le sens le plus large et
avec une adaptation adéquate pour fonder là-dessus une responsabilité
pénale personnelle.En l’état des faits, il faut considérer comme impossible
de fixer sur le plan général, et sans équivoque, les éléments constitutifs
de ce que l’on a appelé le crime de guerre[
6].
Par conséquent,me dira-t-on,tous vos développements fondés sur le respect
du Droit international s’effondrent puisque,même d’après vos « amis »,
les textes de 1907 n’étaient plus applicables en 1939.
Réponses aux objections
Ma réponse se fera en deux temps.
Il faut être cohérent:à Nuremberg, les juges ont invoqués
les conventions de La Haye pour condamner les accusés.
Certes,concernant les conventions de La Haye, les démonstrations d’H. Göring
et de Me Seidl me paraissent inattaquables. Mais je rappelle que le procès
de Nuremberg a été intenté,entre autres,au nom de ces conventions qui
auraient été violées par les Allemands. L’acte d’accusation, ainsi, regorgeait
de formules du genre : « Des tels crimes et mauvais traitements sont contraires
aux conventions internationales, en particulier à l’article 46 du Règlement
de La Haye de 1907… » (TMI, I, 47) ;
« Ces déportations sont contraires aux conventions internationales,en particulier
à l’article 46 du Règlement de La Haye de 1907, aux lois et coutumes de la guerre… »
(Ibid., p. 54) ;
« Ces meurtres et mauvais traitements étaient contraires aux conventions internationales,
particulièrement aux articles 4, 5, 6 et 7 du Règlement de La Haye de 1907… » (p. 56) ;
« Ces actes étaient contraires aux conventions internationales, particulièrement
à l’article 50 du Règlement de La Haye de 1907, aux lois et coutumes de la guerre…» (pp. 57-58) etc.
Quant au jugement, un chapitre entier était consacré aux :
- « Violation des traités internationaux » par les accusés (TMI, I, 228-230),
avec les conventions de la Haye mentionnées en premier sur la liste (TMI, I, 228).
Plus loin, on trouvait des formules du genre : « La Convention de La Haye de 1907
proscrivait l’emploi dans la conduite de la guerre, de certaines méthodes » (p. 232) ;
« L’article 6, b du Statut [du TMI qui définit les crimes de guerre est]
la reconnaissance officielle des lois de la guerre en vigueur, telles qu’elles sont exprimées
par l’article 46 de la Convention de La Haye » (p. 244)…
Ainsi les vainqueurs ont-ils, de fait,repoussé l’argumentation selon laquelle
les conventions internationales ne s’appliquaient plus pendant la deuxième
guerre mondiale. Dès lors, leurs défenseurs ne sauraient aujourd’hui prétendre
le contraire pour dire que, finalement, les « bombardements de terreur »
au-dessus du Reich étaient légaux. C’est une simple question de cohérence :
vous avez condamné hier les vaincus au nom des lois internationales qu’ils
avaient violées, vous ne pouvez aujourd’hui absoudre les vainqueurs au motif
que lesdites lois ne s’imposaient pas.
[
1] « Après le débarquement en Afrique, l’ennemi de l’Ouest déclara,
autant que je m’en souvienne, qu’en aucune circonstance il ne négocierait
avec l’Allemagne, mais la forcerait à une reddition sans condition »
(
TMI, IX, 459).
[
2] Varsovie tomba définitivement le 29 septembre et eut droit
aux honneurs de la guerre ; Modlin capitula le lendemain et les troupes
qui défendaient Héla se rendirent le 2 octobre.
[
3] Voy.
Le bombardement des villes ouvertes. Qu’en pensez-vous ? (éd. du Cerf, 1938), p.36.
[
4] Voy.quatrième convention de La Haye, art. 53 :
« Tous […] les dépôts d’armes,et, en général,toute espèce de munition de guerre,
peuvent être saisis, même s’ils appartiennent à des personnes privées […] ».
[
5] Voy. l’art. 53 : « L’armée qui occupe un territoire ne pourra saisir
que le numéraire, les fonds et les valeurs exigibles appartenant en propre à l’État,
les dépôts d’armes, moyens de transport, magasins et approvisionnements
et, en général, toute propriété mobilière de l’État de nature à servir aux
opérations de la guerre. Tous les moyens affectés sur terre, sur mer et dans
les airs à la transmission des nouvelles, au transport des personnes ou des choses,
en dehors des cas régis par le droit maritime, les dépôts d’armes et, en général,
toute espèce de munitions de guerre, peuvent être saisis […] mais devront
être restitués et les indemnités seront réglées à la paix ».
[
6]
TMI, XVIII, 151-152.
Voy. également la plaidoirie de Maître Steinbauer, avocat d’Arthur Seyss-Inquart,
TMI, XIX, pp. 80-81.
..../....