Les vrais « criminels de guerre »…
Le 3 septembre 1939,rien n’obligeait la France à « marcher » pour la Pologne.
Une guerre idéologique déclarée en toute illégalité.
Dans les années 20, l’Europe a connu bien des conflits qui sont restés localisés.
Après de nombreux autres,on présente la date du 1er septembre 1939
comme le début du grave conflit mondial qui allait durer jusqu'en 1945.
Cette manière d'exposer l'Histoire,bien que parfaitement exacte,
laisse cependant accroire que l'offensive allemande en Pologne devait
fatalement entraîner une conflagration générale.
Or,depuis 1918,de tels accrochages locaux s'étaient produits,parmi lesquels
une guerre russo-polonaise qui dura plus d’un an et dont voici les principaux développements:en août 1919, suite à une offensive victorieuse,
les troupes polonaises s’emparèrent de Minsk et atteignirent la ligne formée
par les rivières Bérézina-Slutch-Zbroutch.
L’objectif était de constituer des états vassaux qui protégeraient la Pologne
de la Russie. Avec le retour des jours meilleurs (avril 1920), les Polonais
reprirent d’ailleurs l’offensive et chassèrent les Russes de Kiev, leur volonté
étant de conquérir la Biélorussie tout entière.
Mais leurs espoirs s’évanouirent quelques semaines plus tard avec la vigoureuse contre-attaque de l’Armée rouge commandée par Toukhatchevski.
Le 2 juillet 1920, les Russes avaient non seulement regagné le terrain perdu,
s’étant emparés de Minsk, Vilna, Grodno, Lwow et Brest-Litovsk,
mais ils avaient même pénétré en Pologne, formant un comité révolutionnaire
à Byalistok (30 juillet) et atteignant deux semaines plus tard les portes
de Varsovie (14 août).
Grâce à l’aide française, la Pologne (qui avait sollicité un armistice le 22 juillet)
put reprendre le combat, redresser la situation et repousser les Russes de 400 km.
Le 12 octobre, les préliminaires d’une paix sans réel vainqueur ni vaincu furent
signés à Riga. La paix « définitive » intervint quelques mois plus tard,
le 18 mars 1921, la Pologne abandonnant l’ouest de la Biélorussie et l’Ukraine.
Ces quelques rappels démontrent que la guerre russo-polonaise fut davantage
qu’une simple querelle autour d’une mince bande frontalière.
J’ajoute que dans l’Europe instable de l’après-guerre, d’autres graves conflits survinrent, par exemple entre la Russie et la Finlande, la Lettonie et la Pologne,
la Turquie et la Grèce… Or,tous s’achevèrent sans qu'aucune extension à l'Europe
(et au monde) n'eut été à déplorer.
Dès lors, pourquoi devait-il en être autrement le 1er septembre 1939,
lorsqu’il s’agissait de l’Allemagne hitlérienne et de la Pologne ?
Les traités franco-polonais étaient caducs en 1939
Le traité du 16 octobre 1925.
A cette question, on réponds qu’en 1939, la France était liée à la Pologne
par un traité d’assistance mutuelle. Signé le 16 octobre 1925,
le premier article stipulait :
Dans le cas où la Pologne ou la France viendraient à souffrir d'un manquement
aux engagements intervenus en date de ce jour, entre elles et l'Allemagne,
en vue du maintien de la paix générale, la France et réciproquement la Pologne, agissant par application de l'article 16 du pacte de la Société des Nations,
s'engagent à se prêter immédiatement aide et assistance, si un tel manquement
est accompagné d'un recours aux armes qui n'aurait pas été provoqué. (
1)
Par conséquent,on nous dit que la situation en 1939 n’était nullement
comparable à celle connue vingt ans plus tôt.
En 1939, la France devait réagir à l'invasion du territoire polonais par
les troupes du Reich.
En droit,le traité était caduc.
Cet argument peut certes impressionner. Mais je note qu’un traité d’assistance identique avait été signé ce même 16 octobre 1925 entre la France et
la Tchécoslovaquie. Dès lors, pourquoi notre pays n’était-il pas parti en guerre
entre septembre 1938 et mars 1939 lorsque les Allemands avaient menacé
Prague avant finalement d’y entrer (voir cliché) ? Tout simplement parce que,
en droit, ce pacte d'assistance avec la Tchécoslovaquie avait cessé d’exister
bien avant 1938. La démonstration fut apportée par Joseph Barthélemy.
Le 12 avril 1938, il écrivit dans
Le Temps :
"Le second traité du 16 octobre 1925 est un simple rouage du mécanisme de Locarno. Jetez, je vous en supplie, le moindre coup d'œil sur ce texte.
A chaque ligne, vous verrez l'affirmation expresse et répétée que cet accord
n'est qu'un accessoire des traités de Locarno et qu'il doit suivre,
par conséquent, le sort de ces traités.
1°) L'esprit du texte est mis en lumière dans le préambule. Les hautes parties contractantes veulent voir l'Europe s'épargner la guerre par une sincère observation des engagements pris en date de ce jour.Quels engagements ?ceux de Locarno.
2°) Incidents qui peuvent mettre en jeu la solidarité des hautes parties contractantes. Ils sont définis par l'article premier. Ce sont les manquements
pris en date de ce jour.Ces engagements,ce sont les engagements de Locarno.
3°) Le traité se meut expressément dans le cadre de la Société des Nations :
a) Le premier alinéa de l'article premier déclare que les deux nations agiront
« par application de l'article 16 du pacte de la Société des Nations » ;
b) Le second prévoit une délibération du Conseil de la Société des Nations
et appelle l'application de l'article 15, alinéa 7, du pacte ;
c) L'article 2 précise que le traité ne sera pas « interprété comme restreignant
la mission de la Société des Nations de prendre les mesures propres
à sauvegarder efficacement la paix du monde » ;
d) le traité doit être enregistré à la Société des Nations.
4°) Le traité met en lumière aussi vive que l'on puisse désirer la solidarité
étroite entre lui-même et le pacte de Locarno. Il sera enregistré en même
temps que le traité conclu en date de ce jour, entre l'Allemagne, la Belgique,
la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, et en même temps que le traité
conclu le même jour, entre l'Allemagne et la Pologne.
Et le document se termine par cette déclaration d'importance capitale :
« Il entrera et demeurera en vigueur dans les mêmes conditions
que lesdits traités ».
On n’a même pas besoin d'invoquer le brocard de l'école :Accesorium sequitur principale : mort le pacte, mort l'accessoire du pacte. Mort Locarno
[rappelons que le pacte de Locarno fut dénoncé par Hitler en 1936,
suite à la signature d’un traité militaire franco-soviétique qui violait
les engagements pris naguère par la France
(sur cette question, voy. TMI, X, 107-110). ], mort l'accessoire de Locarno.
C'est la lettre elle-même du texte qui, expressément, prévoit qu’elle entrera
en vie et mourra avec Locarno […] [Voy.
Le Temps,12 avril 1938].
J. Barthélemy terminait ainsi
:
"Il est urgent de le répéter parce que nos compatriotes sont particulièrement
sensibles aux considérations d’honneur, de parole donnée :
la France n’est pas obligée de faire la guerre pour maintenir les Sudètes
dans l’allégeance de Prague" [Id.].
De façon évidente,ce qui était vrai en 1938 pour la Tchécoslovaquie l’était
tout autant pour la Pologne en septembre 1939. L'accord franco-polonais,
également paraphé le 16 octobre 1925 à Locarno, n'était qu'un rouage
du pacte de Locarno. Celui-ci étant mort depuis 1936, tous les pactes
qui en dépendaient avaient, de facto, cessé d'exister.
Autre argument de Droit.
A cela s’ajoutait un autre argument tout aussi fort:comme on le sait,
le traité de 1925 reposait sur un accord franco-polonais plus ancien,
signé le 19 février 1921.Or,ainsi que l’a écrit Paul Faure :
"En 1921 l’engagement de défendre la Pologne contre une menace allemande
n’était pas lourd à porter pour la France. Nous étions au lendemain
des traités de paix. Autour de nous, le désordre ou l’impuissance.
Une Russie en pleine crise révolutionnaire. Une Europe centrale soumise
à notre influence. Une Allemagne complètement désarmée, démunie
de tout matériel de guerre, privée de toute force militaire terrestre,
navale ou aérienne. Enfin une Italie et une Angleterre soudées à nous
par la victoire commune récente". Tous ces atouts,les uns après les autres,avaient, par la suite, quitté notre jeu.
Pour s’en convaincre,il eût suffi de se rappeler ce qu’étaient en 1939
l’état de l’Europe et particulièrement celui d’une Allemagne nouvelle,
de près de cent millions d’habitants.
Dans le cas d’un conflit nous devions être seuls, ou presque,à supporter
le choc du formidable appareil militaire du Reich, avec en plus,
la menace italienne sur notre flanc.
Depuis longtemps, les yeux grands ouverts à cette réalité,le cœur anxieux,
nous posions la question suivante, à ceux qui toujours parlaient de la signature
de la France et de la fidélité aux engagements pris :
— Si les généraux, diplomates et ministres français de 1921 s’étaient
trouvés en présence de l’Europe de 1939, auraient-ils donné leur garantie
militaire à la Pologne ? Sûrement non . (
2)
P. Faure avait raison de rappeler que le traité de 1921 avait été établi
« à des époques et dans des circonstances dont il ne restait [dès 1936]
que poussières » (Ibid., p. 59).
Dès lors, sachant que le droit international public est dominé par la règle
« Pacta sunt servanda sic rebus stantibus » (les traités subsistent dans
la mesure où les circonstances qui les ont fait naître subsistent),
il est bien évident qu’en septembre 1939, le traité de 1921 était caduc.
Voilà d’ailleurs pourquoi:
- dès le 31 juillet 1936, après la remilitarisation de la Rhénanie, l’avocat
et député de la Sarthe Jean Montigny avait recommandé du haut de la tribune
de la Chambre : « Il faut être francs à temps, vis-à-vis de nos alliés […].
Il ne faut donc maintenir que les engagements que le Gouvernement est
sûr de pouvoir tenir demain ». (
3)
- en décembre 1938, au congrès national extraordinaire du Parti socialiste
tenu à Montrouge,le député du Morbihan Louis L’Hévéder, qui sentait
la catastrophe arriver, avait lancé :
"J’estime que le premier devoir du gouvernement français, à la suite
de la secousse tchécoslovaque, eût été d’étudier à nouveau l’ensemble
de ces alliances militaires et de dénoncer toutes celles qui constituent
pour la France un danger plus qu’une protection". (
4)
En fait,également,le traité de 1921 était caduc.
Allons plus loin et quittons le terrain du Droit. Dans son premier alinéa,
le traité de 1921 prévoyait qu’afin « de coordonner leurs efforts pacifiques »,
les deux gouvernements « s’engage[aient] à se concerter sur toutes
les questions de politique extérieure intéressant les deux États ».(
5)
Or,depuis des années, et à au moins cinq reprises, la Pologne n'avait pas
respecté cet engagement[
6]. Je mentionnerai les deux principales :
le 26 janvier 1934, elle avait signé, sans se concerter avec la France,
un pacte de non-agression avec l'Allemagne[
7] (voir cliché).
Plus grave encore:lors de la crise germano-tchécoslovaque de septembre 1938,
elle avait heurté de front la politique française (qui œuvrait pour l'indépendance
de la Tchécoslovaquie) en dénonçant la convention tchéco-polonaise,
en se rangeant parmi les adversaires du pays que son alliée protégeait,
en revendiquant la province du Teschen et en allant jusqu’à envahir,
le 2 octobre, le territoire d’Olsa (environs de Teschen).
En agissant de la sorte, la Pologne avait, de fait, rompu les traités
qui l'unissaient à la France.
Voilà pourquoi il faut écarter l’argument qui invoque les traités internationaux
pour justifier l’implication de la France dans le conflit germano-polonais
de septembre 1939. En droit, comme en fait, Paris ne devait pas marcher
pour Dantzig.
Hitler n’a pas trompé le monde.
Venons-en à un autre argument,selon lequel tôt ou tard, pacte ou pas,
il aurait fallu se battre avec Hitler, puisque ce nouveau Gengis Kahn
voulait porter la guerre partout en Europe, voire dans le monde.
On s'appuie sur un extrait du discours prononcé par le Führer le 26 septembre 1938, sur une (prétendue) réponse de Joachim von Ribbentrop au comte Galeazzo Ciano
et sur quelques passages d’entretiens secrets postérieurs à septembre 1939
pour prétendre que le Führer mentait lorsqu’il parlait de paix et de bonne entente
avec ses voisins. Aussi rejette-on par avance un argument fondé sur la fameuse
« offensive de paix » du 6 octobre 1939.
Pour certains le discours du 6 octobre n’était qu’un bluff de plus et il n’y avait pas
à prendre Hitler au mot.
J.von Ribbentrop n’a pas prononcé les mots que G. Ciano lui prête.
Je commencerai avec le cas de J. von Ribbentrop. Il est exact qu’à Nuremberg, l’Accusation a produit une copie du Journal du comte Ciano (document PS-2987).
Il est également exact que, le 8 janvier 1946, le procureur britannique
sir David Maxwell-Fyfe a lu un extrait du texte dans lequel le ministre
des Affaires étrangères italien rapportait une entrevue sur la Pologne
avec son homologue allemand en août 1939 (TMI, IV, 588).
Il est enfin exact que, d’après G. Ciano, J. von Ribbentrop lui aurait révélé
à cette occasion le véritable dessein du Reich en disant :
« Nous voulons la guerre ». Seulement, voilà :
Interrogé à ce sujet le 1er avril 1946, l’ancien ministre des Affaires étrangères allemand démentit formellement avoir tenu de tels propos.
Face au Tribunal, il lança :
"[…] cette déclaration est absolument fausse. J’ai dit au comte Ciano
à cette époque, et cela est peut-être un peu similaire :
« Le Führer est décidé à résoudre le problème polonais d’une façon ou d’une autre ». Telles étaient les instructions que j’avais reçues du Führer ; mais que j’aie dit
que nous voulions la guerre est particulièrement absurde "[…] [TMI, X, 376].
Naturellement,on pourra me répondre que l’accusé mentait pour tenter
de sauver sa tête.Mais ses propos sont confirmés par… le Journal de Ciano lui-même. Je m’explique: l’extrait lu le 8 janvier 1946 par le procureur britannique
n’appartient pas au Journal à proprement parler.
C’est un passage de l’introduction que le comte Ciano a (ou aurait) rédigée
bien plus tard, le 23 décembre 1943, alors qu’il était détenu à la prison
de Vérone et qu’une enquête était menée contre lui pour haute trahison.
Or, à cette époque, l’ancien ministre des Affaires étrangères italien se livrait
à un chantage : « Il avait fait savoir au Führer qu’une copie [de son Journal]
était entre les mains d’un de ses amis, l’ambassadeur d’Espagne à Rome,
et que celui-ci ferait immédiatement publier le texte si malheur lui arrivait »(
8)
C’est dans cette situation qu’il a rédigé son introduction dont un extrait
a été lu à Nuremberg.
Point n’est besoin d’être grand psychologue pour comprendre
que l’auteur cherchait alors à charger le plus possible ses adversaires,
Hitler et Ribbentrop en tête. Même si ce n’est pas un motif suffisant pour
rejeter en bloc ses allégations de 1943, on ne saurait prendre pour argent
comptant ce qu’il a écrit en prison. Il faut vérifier. Comment ?
En confrontant son introduction aux notes du Journal proprement dit.
Reportons-nous donc au 11 août, date de l’entrevue avec J. von Ribbentrop.
Si, vraiment, le ministre des Affaires étrangères allemand lui avait clairement
signifié la volonté allemande de déclencher une guerre, le comte Ciano aurait
dû le noter. Or, que lit-on ? « Ribbentrop se dérobe chaque fois que
je lui demande des précisions sur les projets immédiats de l’Allemagne »[
9].
Preuve que son homologue allemand ne lui a pas tenu un langage clair,
en révélant une volonté bien arrêtée de provoquer un conflit armé,
mais qu’il est au contraire resté dans le flou. Cela s’accorde parfaitement
avec les déclarations de J. von Ribbentrop selon lesquelles, face à G. Ciano,
il s’est contenté de dire que le Führer « était décidé à résoudre le problème
polonais d’une façon ou d’une autre » (ce qui, j’en conviens, peut être perçu
comme une dérobade).
Un simple avis subjectif de Ciano.
Peut-être me répondra-t-on que, quelques lignes plus bas dans son Journal,
G. Ciano a écrit :
"Sa volonté de déclencher la guerre est implacable. Il rejette toute solution
qui soit susceptible de satisfaire l’Allemagne, et d’éviter en même temps
un conflit armé. Je suis certain que si l’on donnait aux Allemands encore
plus qu’ils n’ont demandé, ils attaqueraient quand même, car ils sont
possédés du démon de la destruction" [Ibid., p. 128].
Mais il ne s’agit-là que d’un avis subjectif émis par le ministre des Affaires
étrangères italien,un avis qui sera d’ailleurs démenti plus tard, puisque
c’est l’Allemagne elle-même qui formulera seize propositions conciliantes
pour la résolution du différend germano-polonais et que c’est l’Angleterre
qui s’acharnera à faire échouer l’ultime tentative de médiation italienne
acceptée par Hitler.
J’ajoute que si,vraiment,J. von Ribbentrop lui avait signifié le désir allemand
de déclencher une guerre, G. Ciano n’aurait pas eu besoin de formuler tous
ces développements et de donner son avis (« Je suis certain que… »).
Il se serait contenté d’écrire:les Allemands veulent la guerre, on le sait,
Ribbentrop vient de me le dire.
Si Hitler et ses complices avaient voulu la guerre…
Hitler aurait dû attaquer la Pologne dès le 25 août.
Allons plus loin,et supposons qu’effectivement,les dirigeants allemands,
Hitler et J. von Ribbentrop en tête,aient souhaité la guerre de toutes leurs forces.
1°) Ils auraient dû précipiter l’éclatement du conflit dès la fin août,
puisque tous les préparatifs étaient prêts et que plus aucune solution
diplomatique ne semblait pouvoir être trouvée.
Or, le 25 août, Hitler convoqua le général Keitel pour lui demander de tout interrompre : « Arrêtez tout immédiatement, lui dit-il.
J’ai besoin de temps pour négocier » (TMI, X, 533).
L’attaque fut finalement prévue pour le 30 août. Mais le jour fatidique,
Hitler retarda encore les opérations de 24 heures.
A Nuremberg, W. Keitel expliqua : « la raison fut que l’on attendait
un plénipotentiaire du Gouvernement polonais » (Ibid., p. 534).
Preuve que, jusqu’au bout,le Führer espéra parvenir à une solution diplomatique.
(voir TMI, X, p. 533 et p. 534)
Les nationaux-socialistes auraient dû être satisfaits le 3 septembre.
2°) Si, vraiment,les dirigeants avaient voulu la guerre, ils auraient dû sauter
de joie lorsque, le 3 septembre, l’Angleterre fit parvenir son ultimatum.
Or, ce n’est pas ce qui arriva. Interrogé à Nuremberg, celui qui assistait Hitler
comme traducteur dans les conversations officielles, Paul Schmidt,raconta :
"Lorsque ma traduction [orale de l’ultimatum anglais] fut terminée,
[Hitler et von Ribbentrop] restèrent tous les deux silencieux pendant
environ une minute. Je pouvais voir que ce développement de la situation
ne leur était pas agréable. Hitler est resté pendant un certain temps assis
sur sa chaise, pensif, fixant son regard dans l’espace, d’un air soucieux.
Puis, il rompit le silence en demandant brusquement au ministre des Affaires étrangères : « Que devons-nous faire maintenant ? »
Alors, ils ont commencé à s’entretenir des mesures diplomatiques à prendre
d’urgence, à voir s’il fallait convoquer tel ou tel ambassadeur etc.
Je quittai la pièce […]. En arrivant dans l’antichambre, j’ai trouvé […]
un certain nombre de membres du Cabinet du Reich et d’autres hauts
fonctionnaires qui m’avaient lancé des regards interrogateurs au moment
où j’étais entré, car ils savaient que j’avais eu un entretien avec
l’ambassadeur de Grande-Bretagne, et auxquels j’avais répondu
qu’il n’y aurait pas de second Munich. En sortant, je vis à leurs regards
soucieux qu’ils avaient bien compris ce que j’avais voulu dire et quand
je leur ai appris que je venais de remettre un ultimatum britannique à Hitler,
un silence consterné régna dans la pièce. Les visages devinrent graves
et je me souviens encore par exemple que Göring qui se trouvait devant moi,
s’est retourné et m’a dit : « Si nous perdons cette guerre, que Dieu ait pitié
de nous ». Goebbels était seul dans un coin, l’air très grave, pour ne pas
dire consterné. Cette atmosphère déprimante se traduisait sur les visages
de tous les assistants." [TMI, X, 213].
Est-là la réaction d’individus qui ont enfin trouvé la guerre dont ils rêvaient
depuis des semaines,voire des mois ? Assurément non.
Hitler voulut éviter l’extension du conflit germano-polonais.
Dans son témoignage à Nuremberg, P.Schmidt évoque les mesures d’urgence auxquelles Hitler et von Ribbentrop ont immédiatement réfléchi.
Peu après, l’ancien ministre des Affaires étrangères allemand confirma
que son Gouvernement avait ardemment voulu éviter une extension
du conflit germano-polonais. Devant les juges de Nuremberg, il déclara :
"
Ce fut mon plus grand désir [...], dès la fin de la guerre de Pologne,
de tenter de localiser la guerre, c'est-à-dire d'éviter que la guerre ne
s'étendît davantage en Europe. Pourtant il me fallut me rendre compte
bien vite que, lorsqu'une guerre a éclaté, la politique ne joue pas toujours,
ou plutôt plus du tout, un rôle décisif et que, à ce moment-là,
les prétendus horaires des États-majors entrent en jeu.
Chacun veut surpasser les autres.
Nos efforts diplomatiques se déployèrent certainement partout, aussi bien
en Scandinavie que dans les Balkans et autre part, pour enrayer l'extension
de la guerre. Néanmoins, la guerre prit l'aspect que vous savez.
Je voudrais dire qu'après mes conversations avec Hitler, et je suis convaincu
que les militaires étaient du même avis, Hitler ne voulait en aucun cas étendre
la guerre où que ce fût" [Voy.
TMI, X, 289-290].
Telles sont les raisons pour lesquelles je rejette l’argument tiré de la prétendue réponse qu’aurait faite le ministre des Affaires étrangères allemand à
son homologue italien. Tout démontre que J. von Ribbentrop n’a jamais dit,
le 11 août 1939 : « Nous voulons la guerre ».
Au contraire, les nationaux-socialistes n’ont pas voulu la guerre.
Ils ont tout fait pour trouver une solution diplomatique avec Varsovie
et une fois le conflit armé engagé, ils ont tout fait pour le localiser…
Sur le discours du 26 septembre 1938.
Je pourrais m’arrêter là,mais je ne veux pas qu’on puisse m’accuser
de dérobade face à d'autres arguments. J’en viens donc au discours
du 26 septembre 1938, dans lequel le Führer déclarait qu’après Munich,
« il n’y [avait] plus pour l’Allemagne en Europe de problème territorial ».
Dès la fin 1939, les autorités françaises l’ont utilisé pour justifier leur entrée
en guerre[
10].
L’argumentation implicite qui était la suivante :
« Quand on confronte ce que Hitler a dit en septembre 1938 et ce
qu’il a fait depuis mars 1939 (dépècement de la Tchécoslovaquie,
invasion de la Pologne), on mesure le peu de confiance qu’il faut accorder
à ses déclarations apaisantes ».
Il est regrettable de constater qu’un pacifiste comme Jean Montigny
a fini par adopter cette position, parlant du « cynisme » de Hitler.[
11].
Une remise dans le contexte nécessaire.
J’y réponds en commençant par une image simple:si, le lundi,
je déclare n’avoir plus aucun sujet de discorde avec mon voisin et si,
le mercredi, on me voit lui mettre mon poing dans la figure, avant de dire
que j’ai menti le lundi, il faut tenter de savoir dans quelle mesure
une grave dispute n’a pas subitement éclaté, par la faute de ce voisin,
le mardi ou le mercredi.
On « oublie » trop souvent de dire qu’à Munich, Hitler n’a pas garanti
les frontières du nouvel État tchèque (pays artificiel né en 1919
et regroupant de force plusieurs peuples). Pourquoi ?
Parce ce que le dossier n’était pas encore clos;il ne l’était que pour les Sudètes.
Les autorités tchèques devaient encore régler la question des autres minorités
qui vivaient dans leur pays, les Slovaques et les Ruthènes notamment.
Ce fait,Hitler l’a clairement expliqué une première fois le 22 septembre
lors de son entrevue avec N. Chamberlain.[
12]
(voir photo),puis une deuxième fois dans son discours du 26 septembre 1938, déclarant :
"[…] du moment où la Tchécoslovaquie aura résolu ces problèmes,
c’est-à-dire où les Tchèques se seront expliqués avec leurs autres minorités,
non pas par l’oppression, mais pacifiquement, […] alors je n’aurai plus
à m’intéresser à l’État tchèque. Et, cela, je le lui garantis.
Nous ne voulons pas du tout des Tchèques".
Les Tchèques poursuivent leur politique suicidaire.
C’est clair: le Führer mettait une condition à la fermeture définitive
et sans douleur du dossier tchèque :un changement radical dans la façon
de traiter les minorités. Or, il est indéniable que les autorités tchèques
prirent le contre-pied de cette politique.
En février 1939, ainsi, suite à des élections libres, 92,4 % de la Ruthénie
et 98 % de la Slovaquie se prononcèrent pour l’indépendance.Que fit Prague ?
Elle destitua de nombreux hommes politiques ruthènes et slovaques,
occupa les édifices publics, proclama la loi martiale et alla jusqu’à envoyer
l’armée en Ruthénie. Face à cette répression violente, les Slovaques
et les Ruthènes se tournèrent vers Hitler. Sachant qu’ils pourraient compter
sur son soutien[13] ils proclamèrent leur indépendance.
De leur côté, voyant que leur pays se disloquait et que la guerre civile
menaçait, les autorités de Prague choisirent à leur tour de se tourner
vers le Reich pour parvenir à un accord. Celui-ci fut signé le 15 mars.
Le même jour, les troupes allemandes pénétraient en Tchécoslovaquie,
sans rencontrer la moindre résistance[
14].
Ces simples rappels démontrent que, dans son discours du 26 septembre 1938,
Hitler n’a pas trompé les masses. Au contraire, il a clairement formulé
la condition qu’il posait pour une bonne entente avec la Tchécoslovaquie.
Si cette condition n’a pas été respectée, provoquant l’éclatement du pays,
la faute incombe à Prague, pas au Führer.
Dantzig, le Corridor et Memel n’étaient pas des « ambitions territoriales ».
Peut-être me rétorquerez-vous:« Soit pour la Tchécoslovaquie.
Mais lorsqu’il prétendait ne plus avoir aucune “ambition territoriale”
en Europe, Hitler portait déjà ses regards sur Dantzig, le Corridor
(en Pologne) et Memel (en Lituanie).
N’est-ce pas la preuve qu’il trompait son monde ? »
Ma réponse se fera en deux temps :
1°) Dantzig et Memel étaient deux villes et le Corridor une étroite bande
de terrain (voir carte). Dès lors, on ne saurait parler d’«ambitions territoriales ».
Il s’agissait tout au plus de rectifications de frontières.
2°) Alors que ni l’Autriche et ni les Sudètes n’avaient appartenu au Reich
avant 1914, Dantzig, Memel et le Corridor avaient été arrachés à l’Allemagne
en 1919[
15].
Par conséquent, si les deux premières revendications pouvaient apparaître
à juste titre comme des « ambitions territoriales », les trois dernières
ne pouvaient pas l’être. Il s’agissait de réparer des injustices flagrantes
commises lors de la signature des traités de paix.
Voilà pourquoi le 22 septembre 1938 devant N. Chamberlain puis quatre jours
plus tard en public, le Führer déclara qu’après le retour des Sudètes au Reich,
« il n’y [avait] plus pour l’Allemagne en Europe de problème territorial ».
Tout ce qu’il restait, c’était à réparer quelques injustices par des rectifications
de frontières.
Les Allemands n’ont jamais été embarrassés par le discours
du 26 septembre 1938..
Je souligne d’ailleurs que l’utilisation du discours du 26 septembre 1938
par les auteurs du Livre Jaune Français n’a nullement embarrassé l’Allemagne.
Dans les mois qui ont suivi, un avocat et professeur de droit international,
Friedrich Grimm, a publié un ouvrage intitulé : Le Livre Jaune français accuse
ses auteurs.
Ce livre est aujourd’hui introuvable, mais je m’en suis procuré une copie.
Aux pages 11 et 14, l’auteur écrivait :
"
Dès sa préface qui porte le titre : « Paroles d’honneur », on sent nettement
que le Livre Jaune français est une œuvre de pure propagande.
Certaines déclarations faites par le Führer y sont reproduites, détachées
de leur contexte et arbitrairement groupées, sans que jamais soient mentionnés
les événements qui ont créé de nouvelles situations, comme, par exemple,
la trahison de Schuschnigg, et la nouvelle crise à Prague.
On cherche ainsi à faire naître l’impression que le chef de l’État allemand
a donné à diverses époques des assurances qui, plus tard,
n’ont pas été remplies ["…].Dans le Livre Jaune, le chapitre « paroles d’honneur » se termine par
la déclaration faite au Palais des Sports par le Führer, le 26 septembre 1938, déclaration dans laquelle il disait qu’une fois résolu le problème des Sudètes,
il n’y aurait plus pour l’Allemagne en Europe de problème territorial.
Cette déclaration prouve uniquement ceci : le 26 septembre 1938
, le Führer était persuadé qu’après le retour des Allemands du pays
des Sudètes, le reste de la Tchécoslovaquie ferait une politique amicale
de rapprochement avec l’Allemagne, conformément à ses propres intérêts,
et que les questions de l’Est, séquelle des problèmes de la liquidation
de Versailles, se régleraient dans le sens de l’accord [germano-polonais
de janvier 1934], par une entente pacifique, et sans qu’il y eût guerre
avec la Pologne et la Lituanie. Ces problèmes auraient, de fait, été réglés
sans guerre, si l’Angleterre ne s’y était opposée.
(Chamberlain, Daladier, Hitler et Mussolini le 29 septembre 1938)
Personne en Europe ne pouvait supposer (et jamais personne ne l’a d’ailleurs
supposé) que le Führer, qui avait nettement exprimé ce qu’il voulait dans
le programme du Parti, renoncerait, en aucun cas, à une révision territoriale
des frontières de l’Est, à Dantzig, au Corridor, à Memel etc.[
16]
C’était incontestablement vrai.
Sur les entretiens secrets d’A. Hitler
Il faut lire les comptes rendus dans leur intégralité
J’en viens maintenant aux entretiens secrets d’A. Hitler.
On cite deux phrases (ou fragments de phrases) issues de comptes rendus
découverts après 1945 dans les archives allemandes.
De façon évidente, il faut prendre la peine de lire l’intégralité de ces documents.
Ces comptes rendus ont été publiés en 1967 par l’historien allemand
Andreas Hillgruber sous le titre :
Staatsmänner und Diplomaten Bei Hitler et deux ans plus tard en français sous le titre:
Les entretiens secrets de Hitler.
On y trouve effectivement le fameux : « bientôt, il [Hitler] portera la guerre
également à l’Ouest, si bien que les Anglais en resteront tout pantois »,
qui a été prononcé le 26 septembre 1939 devant le Suédois Birger Dahlerus.
[
17].
Mais le Führer se plaçait au cas où l’Angleterre continuerait à refuser
(et même à saboter) toute offre de paix. Dans le cas contraire,
il se déclarait prêt, sous certaines conditions naturellement,
à faire taire les armes. C’est ce que nous apprend la suite du compte rendu.
On y lit ces propos prêtés à Hitler :
"
Si les Anglais veulent la paix en Europe, qu’ils le fassent entendre clairement ! L’Allemagne,quoi qu’il arrive,sera toujours disposée à faire la paix,
car elle en a besoin pour civiliser les territoires qu’elle vient d’acquérir à l’est,
et qui appartenaient aux pays de civilisation germanique ; cela prendra
au moins cinquante ans" [Ibid., pp. 30-31].
Peu après, B. Dahlerus ayant une nouvelle fois évoqué les possibilités d’un retour
à la paix, Hitler accepta de recevoir « un envoyé Anglais » pour des discussions préliminaires (p.32). Le compte rendu se poursuit ainsi :
"Dalherus répondit que la réalisation d’un tel projet supposait, au préalable,
un armistice […]".
Le Führer répond qu’avant la conclusion d’un armistice, il faut tout d’abord
une prise de contact non officielle, au cours de laquelle on examinerait
dans quelle mesure une telle décision est possible. D’ailleurs, oute la question
est de savoir si les Anglais veulent vraiment la paix. Si les Anglais veulent
vraiment la paix, ils peuvent l’avoir dans quinze jours, et sans perdre la face.
La condition préalable serait, bien entendu, qu’ils prennent leur parti de ne
jamais voir la Pologne se relever […]. Que veulent les Anglais en Europe ?
Voilà la question. La sécurité de leur propre territoire ?
Il est prêt, lui, le Führer,à la leur garantir, comme il l’a déjà fait auparavant
en signant avec l’Angleterre le traité maritime [le 18 juin 1935],
qu’il n’a dénoncé qu’au moment où l’Angleterre a adopté une attitude hostile
[le 28 avril 1939].
La sécurité du territoire français, il est prêt à l’accorder sur-le-champ :
le mur de l’Ouest (la « ligne Siegfried ») est la frontière occidentale immuable
de l’Allemagne. Quant à la sécurité des territoires belges et hollandais,
il l’a offerte bien des fois.
Il est prêt à ratifier tout cela dans un traité européen.
L’Allemagne, il le répète, ne veut faire aucune conquête à l’ouest
et dans les Balkans ; dans les Balkans, elle n’a que des intérêts commerciaux.
M. Dahlerus posa la question des préliminaires à un armistice,
pour le cas où l’Angleterre enverrait quelqu’un à Berlin.
Le Führer se montra très sceptique :les Anglais veulent-ils vraiment la paix ?
Il est peu vraisemblable qu’ils envoient quelqu’un en Allemagne.
Le mieux serait peut-être que ce soit la France ou un pays neutre
qui fasse le premier pas ; le Duce, par exemple, pourrait assumer ce rôle.
M. Dahlerus répondit qu’on estimait pourtant que le Duce n’était pas
assez neutre ; on pense plutôt à la reine de Hollande [Ibid., pp. 32-33].
A cet instant, Hermann Göring intervint.
On lit :
"Le feld-maréchal Göring récapitula les possibilités de prise de contact :
Il se pourrait qu’un représentant allemand et un représentant anglais
se rencontrent en Hollande pour examiner les possibilités d’accord.
Ce n’est que lorsque les possibilités d’accord auront été définies que
l’on fera appel à la reine de Hollande, qui invitera alors officiellement
les deux pays à négocier l’armistice. Il ne serait pas mauvais que,
pour la première entrevue non officielle, les Anglais choisissent un officier
comme le général Ironside" [Ibid., p. 34].
Hitler ayant répété que l’Allemagne ne souhaitait « pas “avaler la Pologne” »
mais voulait juste « la sécurité du Reich et les frontières nécessaires
à l’intérieur desquelles elle pourra[it] subvenir à ses besoins et réorganiser
son territoire en fonction de la population » (Id.),H. Göring poursuivit ainsi :
"Le feld-maréchal Göring attira alors l’attention sur le fait que, de toute façon,
le sort de la Pologne est déjà réglé […] ; à son avis, on trouvera bien
un moyen pour empêcher que l’Europe tout entière ne soit mise à feu
et à sang à cause d’un peuple aussi déchu." [Id.].
Plus loin, enfin, on lit:
"Le Führer répond que les Anglais peuvent obtenir la paix s’ils le désirent,
mais il faut qu’ils fassent vite car ce ne seront plus longtemps des tracts
que les pays d’Europe se lanceront. A l’ouest, dans les troupes allemandes,
l’humeur générale est au combat, surtout depuis le retour des troupes
victorieuses de l’est, et le feld-maréchal a même dû donner des ordres
très énergiques pour mettre le holà aux initiatives de la Luftwaffe, sûre
de sa victoire à l’ouest. Il règne dans l’armée une surexcitation dangereuse."
[Ibid., p. 35].
Replacés dans leur contexte, les propos tenus lors de cette entrevue
font clairement apparaître la vérité : Hitler et de Göring n’était pas deux
sanguinaires qui tenaient enfin leur guerre et qui souhaitaient l’exploiter à fond.
Bien au contraire, ils prenaient en considération et discutaient les modalités
de toutes les initiatives susceptibles de ramener la paix.
Ces documents sont d’autant plus forts qu’ils n’étaient pas destinés
à la publication. Dès lors, on ne saurait parler de bluff ou de propagande…
Pourquoi Hitler restait malgré tout prêt à frapper.
Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’au mois de septembre 1939,
Hitler ne nourrissait quasiment plus aucune illusion sur les chances
de rétablir la paix.
Mais qui pourrait lui en vouloir, après l’affaire des « seize propositions »
allemandes de facto rejetées à la fin du mois d’août et le sabotage de l’offre
de médiation italienne quelques jours plus tard ?
Voilà pourquoi en même temps qu’il espérait la paix, le Führer poursuivait
les préparatifs pour une guerre à l’ouest.
Ce fait apparut nettement lors de l’entretien avec le comte Galeazzo Ciano,
le 1er octobre 1939. Il faut rappeler que, lors de cette entrevue,
Hitler a déclaré (en substance) :
"
L’Allemagne est donc délibérément en état de retirer ses troupes de l’est,
de leur accorder un bref moment de répit qu’elles ont bien mérité après
les performances en marche à pied qu’elles ont accomplies, et qui permettra
de faire la révision du matériel puis de les transporter à l’ouest.
L’Allemagne est donc à tout moment prête et apte à passer à l’action
sur le front de l’ouest" [Ibid., p. 40].
Mais il faut citer la suite du document:
Le comte Ciano fut visiblement très impressionné par cette dernière déclaration
du Führer. Il demanda, pour s’en assurer, s’il avait bien compris que l’Allemagne
était prête à tout moment à passer à l’action sur le front occidental.
Le Führer le confirma en faisant remarquer que l’Allemagne n’avait aucun intérêt
à mener de force une guerre à l’ouest si celle-ci pouvait être évitée.
Après les succès remportés en Pologne, une poursuite de la guerre pour
des raisons militaires n’est plus nécessaire. D’autres raisons encore pousseraient
à ne pas faire la guerre. Mais si la paix se fait désirer, alors la guerre que
l’Allemagne mène sur le front de l’ouest pourrait prendre une autre tournure
[Ibid., pp. 40-41].
On ne saurait être plus clair :Hitler était prêt à frapper, mais il espérait
tout de même éviter la lutte. Il était dans la position de la personne
qui tend sincèrement la main à son ennemi mais qui, ignorant comment
celui-ci va répondre (ou, plus exactement, subodorant qu’il va tenter
de le frapper), garde son poing gauche fermé et ses muscles bandés.
Aujourd’hui, on cache les menées bellicistes anglaises,c’est-à-dire
les manœuvres du gouvernement de Sa Majesté pour faire échouer
les ultimes tentatives de résolution du différend germano-polonais
le 30 août et le 5 septembre 1939.
En revanche, on se focalise sur le fait que l’Allemagne était prête à l’attaque,
on extrait de leur contexte une ou deux phrases issues d’entretiens secrets
pour dire:« Vous voyez bien que Hitler mentait lorsqu’il prétendait vouloir la paix… ». C’est très malhonnête.
Le Journal de Ciano confirme ma thèse.
Afin de démontrer que l’Allemagne a vraiment voulu limiter le conflit,
j’ai l’habitude d’invoquer le discours qu'Hitler prononça, le 6 octobre 1939,
pour tenter de sauver la paix européenne.
Mais sachant qu'on le qualifie de bluff, je l’écarterai.
Toutefois, je produirai un autre document. Il s’agit du… Journal du comte Ciano.
Le 19 juin 1940, G. Ciano eut une entrevue avec J. von Ribbentrop.
C’était l’heure du triomphe de la croix gammée.
Rien ne semblait pouvoir résister à Hitler.
Or, voici ce que l’on peut lire dans les notes personnelles du ministre italien :
"Je trouve un Ribbentrop transformé : pondéré, calme pacifiste.
Il déclare d’emblée qu’il convient de faire des conditions d’armistice modérées
à la France […]. Les paroles de Ribbentrop me font sentir que la Stimmung
envers l’Angleterre est changée : si Londres veut la guerre, ce sera
une guerre totale, absolue, sans pitié. Mais Hitler fait de nombreuses réserves
sur l’opportunité de détruire l’empire britannique qu’il considère aujourd’hui
comme un facteur important de l’équilibre mondial.
Je pose à Ribbentrop une question précise:« Préférez-vous la continuation
de la guerre ou la paix ? » Il n’hésite pas un instant : « La paix »[
18].
Conclusion
Telles sont les raisons pour lesquelles j’estime :
1°) que Hitler était prêt à résoudre diplomatiquement le différend germano-polonais ;
2°) que même une fois le conflit du 1er septembre 1939 commencé,
il aurait pu rester localisé.
Il aurait pu le rester non seulement après le 1er septembre 1939,
mais aussi après la défaite de la France.
S’il en a été autrement, la faute incombe à l’Angleterre
(et, dans une moindre mesure, à la France).
Une guerre illégale.
Cela dit, venons-en au problème de la légalité de la guerre.
Le 3 septembre 1939, à 17 h, l’ambassadeur français à Berlin,
Georges Coulondre, notifia à J. von Ribbentrop « l'état de guerre »
qui existait désormais entre les deux pays[
19].
Même si les termes étaient ambigus,ce qui est déjà révélateur,
la réalité était claire : la France venait de déclarer la guerre à l’Allemagne.
Que disait la Constitution ?
Considérons maintenant l'article 9 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875.
Il était le suivant : « Le président de la République ne peut déclarer la guerre
sans l'assentiment préalable des deux Chambres (Chambre des députés et Senat]»
[
20].
Or, malgré cet article très clair, la déclaration de guerre se fit sans l'assentiment
des chambres. Comment une violation aussi grave de notre constitution
a-t-elle pu se produire ? C'est ce que je vais maintenant expliquer,
documents à l'appui.
Une bien curieuse « session extraordinaire » du Parlement
.
Le 1er septembre 1939, suite à l'invasion de la Pologne, la France mobilisa
ses armées. Dans le même temps, les parlementaires étaient rappelés
en urgence pour une « session extraordinaire ».
Un ordre du jour rassurant…
Le lendemain,à quinze heures, les députés se réunirent à la Chambre,
sous la présidence d'Édouard Herriot.
Allait-on discuter une éventuelle déclaration de guerre au Reich ?
Pas le moins du monde. Prenant la parole, E. Herriot déclara :
"
J'ai reçu de M. le président du Conseil [Édouard Daladier], avec demande
de discussion immédiate,un projet de loi portant ouverture de crédits
supplémentaires et autorisation d'engagement de dépenses au titre du budget
général et du compte des investissements en capital de l'exercice 1939"
[
21].
Ce texte, peu clair dans sa globalité, l'était tout de même sur un point :
il n'était pas question de voter la guerre, mais juste des crédits militaires.
Il est d'ailleurs à noter que, dans leurs déclarations, ni le président
de la République Albert Lebrun, ni E. Daladier, ni E. Herriot ne parlèrent
d'une déclaration de guerre imminente. Il y fut surtout question d'une défense
de la patrie menacée[
22] et de suprêmes tentatives pour régler
pacifiquement la crise germano-polonaise[
23].
Par conséquent, rien ne laissait présager une proche déclaration de guerre.
Mais la tromperie allait beaucoup plus loin.
Après une suspension de séance,Jammy Schmidt, rapporteur général, déclara :
"Messieurs, le projet de loi dont vous êtes saisis et que la commission
des finances vient d'examiner porte sur ouverture des crédits supplémentaires
jugés nécessaires pour assurer pendant deux mois la couverture des dépenses militaires qu'implique la situation internationale". [Ibid.,p. 1952, col. C].
Cette déclaration devait rassurer les députés les plus inquiets :
il n'était pas question de déclarer la guerre, mais juste de voter
des « crédits supplémentaires jugés nécessaires pour assurer pendant
deux mois la couverture des dépenses militaires qu'implique la situation internationale ». Autrement dit, l’heure était à l’accélération des préparatifs
en vue d’une guerre probable, compte tenu des derniers événements.
… mais destinés à tromper les élus.
Or, nous savons aujourd'hui que le texte initial de cette déclaration était
tout autre et qu'il fut volontairement modifié afin de le rendre totalement anodin.
Ce fait a été révélé par Anatole de Monzie.
Dans son ouvrage Ci-Devant,il écrit :
"Quand, le 1er septembre 1939, nous eûmes décidé de déposer sur le bureau
de la Chambre une demande de crédits de soixante-quinze milliards,
Jardel [...], directeur du budget, fut chargé de rédiger l'exposé des motifs
du projet de loi. Il le rédigea en toute franchise en indiquant qu'il s'agissait
de faire face aux trois premiers mois des hostilités.
Paul Reynaud corrigea le texte parce que, le 1er septembre ou même le 2,
il n'était pas permis de parler des hostilités, la guerre n'étant pas déclarée ;
il écrivit de sa main : « dépenses pour faire face aux obligations résultant
de nos alliances », puis il porta son texte à Daladier, lequel atténua
la formule :«pour faire face aux obligations résultant de la situation internationale».
De Jardel à Daladier, en passant par Paul Reynaud, ce brouillon devenait
la plus anodine des écritures. Personne d'ailleurs ne s'est attaché à cet exposé
des motifs dont l'hypocrisie correspondait au vœu général de prudence[
24].
Cette seule manœuvre prouve la tromperie éhontée dont se sont rendus
coupables les trois principaux dirigeants de la nation.
Mais ce n’est pas tout.
Toute discussion est supprimée. Une discussion devait précéder le vote de la loi sur l'ouverture des crédits militaires, ceci afin que partisans et adversaires de ce texte puissent faire entendre leur voix. Or,ce débat parlementaire fut tout simplement supprimé.
Au Sénat, ainsi, avant que la loi sur les crédits supplémentaires ne fût votée,
Pierre Laval tenta de prendre la parole, mais il dut faire face à l'obstruction
de M. Jeanneney (alors président de cette assemblée) qui la lui refusa.
Voici ce que nous pouvons lire au Journal Officiel :
M. Pierre Laval. Je demande la parole.
M. le président. Mon cher collègue, une communication du Gouvernement
ne comporte pas de discussion. Je ne peux donc pas vous donner la parole.
Sur de nombreux bancs. Parlez ! Parlez !
M. Pierre Laval. J’ai écouté avec beaucoup d'émotion, comme tous mes collègues,
la déclaration du Gouvernement. J’ai moi-même une courte déclaration à faire.
M. Henri Rey et plusieurs sénateurs. Vous parlerez dans la discussion sur les crédits.
M. Pierre Laval. En janvier 1935... (Murmures.)
M. le président. Je vous en prie, mon cher collègue, n'insistez pas.
M. Pierre Laval. En janvier 1935, j'ai signé avec M. Mussolini les accords de Rome, pour sauvegarder la paix de l'Europe. (Mouvements divers.)
Ces accords ont été détruits.
Je demande aujourd'hui au Gouvernement de se rappeler que la raison
qui les avait déterminés est plus vivante que jamais et de s'en souvenir pour agir. (Mouvements divers. applaudissements sur quelques bancs)[
25].
P. Laval ne put en dire davantage, et les crédits furent votés sans résistance.
[
1] Voy. Jean Montigny,
France, libère-toi ! (Imprimerie commerciale de « La Sarthe », 1939), pp. 278-279.
[
2] Voy. Paul Faure,
De Munich à la Cinquième République (éd. L’Élan, s.d.), pp. 59-60.
[
3] Voy. Jean Montigny,
Le complot contre la paix (éd. la Table Ronde, 1966), p. 310 (et aussi p. 118).
[
4] Cité par P. Faure, op. cit., p. 57.
[
5] Pour le texte complet de ce traité, voy.J. Montigny,
France, Libère-toi !., p. 277.
Pour le texte complet de ce traité, voy. J. Montigny,
France, Libère-toi !., p. 277.
[
6] Voy. J. Montigny,
Le complot…, pp. 204-206.
[
7] Voy.
Les relations polono-allemandes et polono-soviétiques
au cours de la période 1933-1939. Recueil de documents officiels (éd. Flammarion, mars 1940), pièce n° 10, p. 41.
Dans un message du même jour « à tous les postes diplomatiques »,
le chef de la diplomatie polonaise, J. Beck, déclara que les « États alliés,
la France et la Roumanie, [avaient] été préalablement informés des négociations menées en vue de ladite déclaration » (Ibid., p. 43).
Notons qu’il existe une différence sensible entre informer un État
et se concerter avec lui…
[
8] Voy.
J. von Ribbentrop, Londres, Moscou. Mémoires (éd. Grasset, Paris, 1954), p. 223.
[
9] Voy.
Comte Galeazzo Ciano, Journal Politique, 1939-1943,
t. I (éd. de la Baconnière, Neuchâtel, 1946), p. 127.
[
10] Voy.
Le Livre Jaune Français (Imprimerie Nationale,1939),
p. 8.
[
11] Voy. J. Montigny,
Le complot…, p. 176, note 1.
[
12] Le Premier anglais l’a lui-même rappelé dans son discours
du 28 septembre 1939 devant la Chambre des Communes :
« [Hitler] me dit qu’il ne pourrait conclure un pacte de ce genre
[pacte de non-agression] tant que d’autres minorités en Tchécoslovaquie
n’avaient pas reçu satisfaction »
(voy.
la Documentation Catholique, t. XL, col. 1369).
[
13] Il semble que, dès le 19 septembre 1938, l’Allemagne avait
encouragé les Slovaques à réclamer leur indépendance
(voy. le document PS-2858, produit le 1er avril 1946 à Nuremberg ;
TMI, X, 355).
[
14] Sur tous ces faits, voy. V. Reynouard,
Les crimes « libérateurs » contre la paix(auto-édité, 1995), pp. 112-120.
[
15] La ville de Memel avait été mise sous le contrôle des Alliés
(art. 99 du Traité de Versailles). Mais en 1923, les troupes lituaniennes
s’en emparèrent par surprise.
[
16] Voy. F. Grimm,
Le Livre Jaune français accuse ses auteurs (copie en possession de l’auteur, sans mention ni de date,
ni de maison éditrice), pp. 11 et 14.
[
17] Voy. A. Hillgruber,
Les entretiens secrets de Hitler (éd. Arthème Fayard, 1969), p. 29.
[
18] Voy.
Comte Galeazzo Ciano, op. cit, p. 265.
[
19] Voy.
Le Livre Jaune Français, pp. 412 à 414,
pièces n° 367 et 368.
[
20] Voy. Stéphane Rials, Textes Constitutionnels Français
(P.U.F., collection « Que sais-je? », 1989), p. 79.
[
21] Voy.
Journal Officiel du 3 septembre 1939,
Débats parlementaires, n° 59, Chambre des Députés, 16ème législature,
session extraordinaire de 1939, Compte rendu in extenso, 1ère séance,
Séance du 2 septembre 1939, p. 1949, col. C.
[
22] « Rassemblons-nous, comme les membres d'une famille,
autour du Gouvernement qui a la charge et l'honneur de défendre notre patrie » déclara E. Herriot (Ibid., p. 1950, col. A) ; « les jeunes hommes montent la garde
aux frontières » écrivit A. Lebrun (Ibid., col. B) ;
« ils sentent tous, au fond de leur cœur, que c'est en réalité,
quoi qu'on dise, l'existence de la France qui est menacée »
renchérit E. Daladier (Ibid., p. 1952, col. B).
[
23] [« Ce que nous avons fait, avant le commencement de cette guerre,
nous sommes prêts à le faire encore. Si les démarches de conciliation
se renouvellent, nous sommes prêts encore à nous y associer »
(Ibid., p. 1951, col. B) ; « Notre devoir, il est d'en finir avec les entreprises
de l'agression et de la violence. Par des règlements pacifiques, si nous
le pouvons encore, et nous le tenterons jusqu'au bout.
Par l'usage de la force, si tout sens moral en même temps que toute lueur
de raison a disparu chez les agresseurs »
(Ibid., p. 1952, col. C) s'écria E. Daladier.
[
24] Voy.
Ci-Devant, (Flammarion, 1941), p. 271.
A. de Monzie informe le lecteur que ce « compromettant chiffon »
fut retrouvé dans la valise que Lecca et Devaux,alors inspecteurs des Finances, avaient emportée à Madrid avant qu'elle ne soit saisie.
[
25] Voy.
Journal Officiel de la République Française,
Débats parlementaires, Sénat, Séance du samedi 2 septembre 1939,
p. 640, col. A et B.
..../....