Le document n'avait jamais été traduit en français.
Il s'agit d'une déclaration sous serment (affidavit) d'un communiste
polonais,Herbert Wilschewske,ancien interné au camp de Dachau.
Il y était resté plus de deux ans,de février 1943 à la libération en avril 1945.
Sa déclaration sous serment fut recueillie le 18 juin1946 par la Défense
au "grand" procès de Nuremberg.Elle fut produite le 20 août 1946 par l'avocat
des SS,Maître Horst Pelckmann.Le Tibunal n'ayant toutefois accordé qu'une
demi-journée à chaque défenseur pour présenter sa plaidoirie (TMI,XXI,522),
Me Pelckmann ne put qu'en mentionner la référence,sans pouvoir ni la lire,
ni même la résumer.Il se contenta de dire:
"Le groupe suivant contient les affidavits 14,15,16,19,20,21,23 et 25
qui traitent de la condition des détenus dans les camps de concentration.
Ces affidavits prouvent que les détenus des camps de concentration étaient,
d'une manière très générale,traités d'une façon très satisfaisante". (Ibid.,p.374).
Sans surprise,les juges ne tinrent aucun compte de ces documents.
Quelques mois plus tard,la déclaration de Herbert Wilschewske fut citée
à nouveau.C'était au procès des "médecins nazis".Elle devait servir à la défense
des docteurs Siegfried Ruff,Wolfram Sievers et Wilhelm Beiglboeck,impliqués
dans les expériences médicales conduites au camp de Dachau
(expériences dites "de haute altitude" et "d'eau de mer").
Le 28 avril 1947,elle fut lue à l'audience.Dans sa plaidoirie,l'avocat de Siegfried Ruff
insista sur sa valeur comme preuve à décharge (TMI,série verte,vol.I,p.122).
L'avocat de Wolfram Sievers en cita pour sa part un passage attestant que
les déportés soumis aux expériences s'étaient portés volontaires (Ibid.,p.134).
Si Ruff eut le bonheur d'être acquitté (au bénéfice du doute),Beiglboeck fut
condamné à 15 ans de prison et Sievers à la mort par pendaison.
Dans les années qui suivirent,ce document sombra dans l'oubli.
Nous le publions aujourd'hui dans une traduction française effectuée par nos soins.
Certains nous objecteront:"Pourquoi croyez-vous à ce témoignage
(qui vous arrange) alors que vous en rejetez tant d'autres (qui vous gênent) ?"
En guise de réponse,nous pourrions leur retourner ce qu'on nous opppose
toujours lorsqu'il s'agit d'"aveux" d'anciens SS dont nous dénonçons le caractère
mensonger:"Quel intérêt auraient-ils eu à mentir ?"nous demande-t-on alors.
Cette question,nous pourrions donc la poser à ceux qui voudraient rejeter
le témoignage de Herbert Wilschewske.
Nous nous en abstiendrons car elle est totalement vaine.
Un témoignage doit tout d'abord être jugé avec l'outil de la critique interne:
est-il cohérent ? Rapporte-t-il des faits a priori possibles ? Si oui,
il mérite d'être présenté.
Nous n'avions donc aucune raison de croire davantage ce témoignage qu'un autre.
Mais nous constatons qu'il ne contient ni impossibilité physique,ni détails
évidemment déraisonnables.
Certes,on nous objectera que Herbert Wilschewske parle d'une "cantine" qui
fonctionnait dans le camp et dans laquelle on pouvait dépenser 5 RM par semaine
en "papier,boisson et tabac",détail qui paraîtra saugrenu à beaucoup.
C'est cependant oublier que certains camps avaient leur cantine.
Buchenwald par exemple,où un papier-monnaie spécial existait pour les achats.
Dans leur rapport publié au terme de leur visite des lieux,les parlementaires
américains écrivirent:"Nous avons vu le paier-monnaie du camp que
les prisonniers pouvaient gagner en travaillant et dépenser à la cantine."
(Voy.Articles et Documents,nouvelle série,n°99,9 mai 1945,
"Les horreurs de Buchenwald",p.2,col.B ).
Ailleurs,nous lisons à propos du camp d'Auschwitz:
"La cantine d'Auschwitz (kantine) se trouvait dans le block 25.
Les détenus qui avaient reçu de l'argent ou s'étaient arrangés pour en obtenir
pouvaient acheter du papier à lettre ou des produits d'épicerie comme de la
marmelade de betterave."
Ce passage n'est pas extrait d'un livre "négationniste",mais du
Guide pédagogique d'Auschwitz (éd.Autrement,2011,p.60),
coécrit par le professeur d'histoire Jean-François Forges,déjà auteur du livre
Eduquer contre Auschwitz.Le document que nous reproduisons enfin
ci-dessous est un mandat postal destiné à un prisonnier (polonais) interné
à Dachau en octobre 1940.
S'il n'y avait eu aucune possibilité de dépenser quoi que ce fût dans le camp,
un tel mandat aurait été parfaitement inutile.
Le témoignage de Herbert Wilschewske ne contient donc rien d'impossible.
De plus,il n'est nullement entaché d'incohérences.Voilà pourquoi nous avons
décidé de le publier.Depuis trop longtemps,seules les pièces à charge
sont montrées au grand public.
Il est temps de verser au dossier ce qui a été délibérément ignoré après la guerre.
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Tribunal Militaire International
Nuremberg,18 juin 1946
Wilschewske Herbert,le 15 juillet 1922(...)
SS-Affidavit n°16
Déclaration sous serment
Né en Pologne,j'avais la nationalité polonaise.
Avant la guerre,je travaillais à la poste.Mon père était communiste et m'a incité à le devenir.En 1942,j'ai reçu ma lettre de mobilisation pour servir
dans l'armée anti-aérienne à Stettin,cependant l'appel fut annulé.
Puis,je reçus une nouvelle lettre pour mon incorporation dans les
Waffen-SS à Munich.
Cependant,depuis le début je n'avais aucune intention d'obéir à cette demande
de mobilisation,car du fait de mes idées communistes,j'étais contre la politique allemande et contre la guerre.En conséquence,je fus arrêté par
la Police Militaire allemande.Je fus condamné à huit ans de travaux forcés
par la Cour-SS et la Cour de la Police à Prague pour insoumission et défaitisme.Je fus alors envoyé en détention préventive au camp de concentration de Dachau,c'était le 3 février 1943.
Je dois admettre que j'ai été bien traité là-bas.Au début,je restai en cellule d'isolement et,plus tard,on me plaça dans une baraque avec d'autres prisonniers.
Peu après,je fus mis au travail (Il y avait beaucoup de rayonnages)
dans une boulangerie de Dachau.La nourriture était bonne.
Jusqu'au printemps 1945,chaque matin,nous recevions un quart de miche
de pain de caserne,accompagné d'extras:30 grammes de beurre tendre,
du fromage et un succédané de miel ou de la confiture.
A midi,nous recevions un litre de soupe,du ragoût avec des légumes et
des pommes de terre.Parfois,nous recevions aussi des pommes de terre cuites au four.Deux fois par semaine seulement nous avions un ragoût
sans légumes et des pommes de terre au four.
Le soir,nous avions souvent un litre de soupe ou du pain avec des extras.
Ces rations restèrent inchangées jusque peu avant la capitulation,
vers février 1945,lorsqu'au lieu d'un quart de miche de pain de caserne,
on ne nous en donna plus qu'un cinquième,et finalement qu'un huitième,
matin et soir.
Je dois dire que même avec ces rations réduites,la nourriture était encore
suffisante pour éviter à chacun de mourir de faim.
Durant tout ce temps,nous reçûmes également du tabac et,jusqu'à la fin
de l'année 1944,de 3 à 10 cigarettes par jour au moins.
Ceci s'appliquait particulièrement aux unités spéciales qui s'étaient portées
volontaires pour former les escadrons d'enlèvement des bombes anglo-américaines
retrouvées non-explosées après les bombardements.
J'aimerais également mentionner les colis réguliers envoyés par la Croix-Rouge
qui étaient distribués aux prisonniers étrangers.
Cette distribution eut lieu jusqu'à la fin.Le logement était bon.
Chacun avait son propre lit avec une paillasse ou un matelas.
Les lits avaient trois étages,l'un par-dessus l'autre.Nossous-vêtements
étaient régulièrement changés pour des propres.Les draps étaient changés toutes les quatre semaines.
Des salles de bain et des lumières électriques étaient fournies et nous
devions nous laver régulièrement.
Jusqu'en début 1945,on comptait 20 hommes par pièce.Ce n'est qu'à l'approche des Alliés que 30 à 40 hommes furent mis dans une seule pièce.
Afin de satisfaire les demandes personnelles en papier,boisson et tabac,
une cantine fonctionnait dans le camp.Nous pouvions y dépenser
jusqu'à 5 RM (Reichmark) par semaine.Des primes étaient données
pour un travail accompli.
Jusqu'à l'été 1944,on put acheter des boissons non-alcoolisées à la cantine,
ainsi que des articles de base et des affaires de toilette.
Pour les affaires de toilette,nous pûmes les acquérir jusqu'à la fin.
Durant tout le temps de mon séjour à Dachau,je n'ai jamais vu aucun prisonnier
se faire tuer ou maltraiter,à l'exception de mesures de discipline,comme
les coups de fouet,approuvés par le Reichführer-SS.
J'ai entendu des rumeurs d'exécutions par fusillade ou par pendaison,
mais ces dernières étaient toujours liées à des sentences de cours martiales.
Les conditions (de vie),comme celles que j'ai vues dans les films et lues
dans les journaux après l'effondrement de l'Allemagne,à propos des mauvais
traitements dans les camps de concentration allemands n'ont jamais eu lieu
en ma présence.
J'avais connaissance des expériences médicales sur des prisonniers.
A plusieurs reprises,j'ai eu l'opportunité de parler avec des prisonniers
qui s'étaient portés volontaires pour ces expériences.
J'ignore de quel type d'expériences il s'agissait.A ma connaissance,les prisonniers
volontaires pour ces expériences ont agi de leur plein gré et en agissant ainsi,
ils pouvaient regagner leur liberté et leur réinsertion (dans la vie civile) ainsi
qu'une amélioration des conditions de vie pour leurs proches.
WILSCHEWSKE est actuellement interné,car depuis l'approche des troupes
américaines,il a été mis en uniforme avec d'autres prisonniers pour protéger
le camp.
Signé:Herbert Wilschewske
A signé et juré devant moi ce 26ème jour de juin 1946.
Robert B.Starnes,1er Lieutenant 0-1384383
Source:Sans Concession n° 77, août-septembre 2012,pp.19-21.