François Brigneau :
Adieu,camarade ! La semaine dernière a compté trois morts.Dans l'ordre alphabétique,
Aubrac,Ben Bella,Brigneau.
D'Aubrac,il n'y a rien à dire,sa femme a déjà tout raconté,leurs aventures
riment avec celles du baron de Crac.Les vaches auvergnates s'étonnent
en regardant passer les imaginations des époux Samuel,qui riment aussi
avec Elie Wiesel,Stéphane Denis avait écrit là-dessus une jolie petite chose
sobrement intitulée
Abracadaubrac.
Ben Bella n'avait besoin,lui,ni de baguette magique ni de pseudonyme,
il cherchait une patrie:né de Marocains immigrés près d'Oran,ayant fait
la Seconde Guerre mondiale dans le cinquième régiment de tirailleurs marocain,
il inventa avec quelques autres la nation algérienne,en prenant soin d'en exclure
un million de Pieds-Noirs,qui n'étaient pas autochtones.
Panarabe et partisan de l'unité du Magreb où ,historiquement,les Berbères
dominent,il lança l'armée algérienne contre celle du Maroc lors de la
"guerre des sables",avant d'être débarqué,lui le tout puissant premier président
de l'Algérie indépendante,par son fidèle chef d'Etat Major,Houari Boumedienne.
Ce zélateur de la démocratie fut un autocrate féroce,ce socialiste fut le grand
multiplicateur de la corruption.Il n'aurait jamais dû dépasser le grade d'adjudant
qui était le sien dans l'armée française et où il brilla.
C'était un ennemi néfaste mais courageux,plus estimable en fin de compte malgré
sa sottise et ses crimes que bien d'autres.
Il a fini de manière amusante,à l'âge de quatre-vingt-dix ans,grand sage africain
chargé de la prévention et de la résolution des conflits.
Il avait commencé de façon plus sérieuse à l'Olympique de Marseille,au poste
de demi,la saison 1939/40.Drôle de guerre.
(
François Brigneau :1919-2012)
Le foot était son premier point commun avec François Brigneau,qui aimait aussi
le cyclisme et le pratiqua longtemps,ce qui lui permettait de grimper la côte
de Saint-Cloud et de se maintenir en forme.
Leur deuxième ressemblance était d'avoir tous les deux fait de la prison,
Ben Bella sept ans dans les bâtiments aérés de la Quatrième République
et quatorze sous le soleil du colonel Boumedienne,François moins longtemps
mais de manière plus dangereuse au temps de la sainte épuration.
Il y rencontra Robert Brasillach,qui lui laissa entre autres souvenirs un beau-frère,
Maurice Bardèche.Serge Beketch racontait qu'étant parvenu,après de longues
lectures et une mûre réflexion,à la conclusion que le récit de la "Shoah" tel que
le tribunal de Nuremberg l'a façonné ne le convainquait pas,il s'en ouvrit à François
qui lui ouvrit les bras en disant
"Bienvenue en enfer".Il savait de quoi il parlait.
L'enfer,il y baignait depuis tout petit.L'enfer où les puissants confinent coeurs
fidèles et jugements droits en interdisant leurs convictions et leurs certitudes.
Militant du RNP pour commencer,milicien engagé en 1944,curieux de nature,
il était surtout doué d'une redoutable obstination de Breton qui devait le rejeter
du mauvais côté du manche.
Une fois qu'il était tombé sur une vérité,même un dogue anglais ne la lui aurait
pas fait lâcher.
Cela lui coûta une carrière,une notoriété plus vaste.Il avait l'oeil et la verve,
et avec cela un registre étonnamment étendu.Le conte lui réussissait aussi
bien que le roman policier,le style noble que l'argot,il avait des dispositions
pour les dialogues et les biographies historiques,il savait trouver sans y toucher
l'enseignement moral et politique d'un fait divers,extraire le merveilleux des choses
les plus anodines.Ce n'est pas pour rien qu'il fut l'ami d'Antoine Blondin,il ne le lui
cédait pas en talent,il aurait pu continuer continuer Marcel Aymé ou Jean Anouilh.
Mais il lui manqua cette facilité d'âme qu'il faut acquérir pour réussir d'une certaine
manière.La politique l'avait mordu,il la mordit en retour,jusqu'à la fin.
Passées les folles années quarante,l'après-guerre fut moins sectaire
que notre aujourd'hui.Des hommes de talent lui ouvrirent les portes de la grande
presse malgré son pedigree.Il y brilla.Le reporter de
Pris Presse,l'Intransigeantne fut pas moins bon que l'éditorialiste de
Minute.
Mais il préférait le combat et ne voulut jamais accepter les convenances du système.
Quand le gaullisme et son mensonge algérien commencèrent de moins peser,
le conformisme de 68 et la religion de la Shoah chargèrent les épaules françaises
d'un poids plus lourd encore.François fut l'un des premiers à détecter la centralité
de la question juive dans le monde post-moderne,et ce coeur du coeur
de l'oppression,cet oeil du coq,qu'est le mythe du crime unique.
Dans ces conditions,il ne pouvait reprendre pied dans un système où il avait
pourtant réussi.Il haussa les épaules,en garda peut-être un doigt de dépit,
mais ce doigt fut un doigt d'honneur:à perdre une carrière mondaine,
il acquit un statut de grand témoin.
Son oeuvre y perdit d'ailleurs seulement en célébrité,non en mérite.
En dehors des milliers d'articles qui ont réjoui les connaisseurs et fortifié les militants,
il a produit beaucoup de bons livres,dont à mon sens au moins un maître livre,
Notre Après Guerre,et deux grands petits livres,
Jules l'imposteuret le
Dernier Cahier consacré à Xavier Vallat.
Les deux derniers sont minces mais pour moi capitaux.Et la liste n'est pas limitative.
Que se serait-il passé s'il avait mis un peu d'eau dans son vin ?
C'est toujours un plaisir de refaire l'histoire.Jean Dutourd a imaginé un autre destin
à Napoléon:dans d'autres circonstances il serait devenu le felmarshall von Bonaparte.
De même si l'affaire algérienne avait tourné autrement,Jean-Marie Le Pen aurait pu
devenir président de l'Assemblée nationale,Michel Debré occupant l'Elysée,
et Brigneau aurait revêtu l'habit vert.Tel quel,il fut trente ans durant le grand imprécateur,
le grand démolisseur de réputations usurpées et d'idées fausses.
Ses formules faisaient se cacher les charcutières de télévision et frémir les historiens
amateurs.
Un million de Lilliputiens ne parvenaient pas à enchaîner ce Gulliver tonnant qui
les foudroyait de ses paroles.Ils lancèrent sur lui leurs chiens de justice,avocats
idéologues,procureurs fous,juges aux ordres.
Il fut avec Robert Faurisson l'une des plus fréquentes victimes du harcèlement
judiciaire français.Aussi,quand je perdis mon premier procès de presse,eut-il
un fin sourire:
"Tu vois,il faut toujours faire confiance à la justice de son pays".
Nous nous étions longtemps croisés,notamment au père tranquille chez
Jean Nourygat ou à
Minute quand Patrick Buisson le dirigeait.
Je me souviens de certains dîners avec Charles Pasqua ou Jean-Claude Gaudin
dans les cabinets de La Pérouse,ou quand l'équipe chantait avec entrain certains
chants d'Action française que je ne puis retranscrire ici sans tomber sous le coup
de la loi,il y était question d'insolence et d'invitation au silence.
Puis nous nous sommes rencontrés à
National-hebdo.Ni l'un ni l'autre n'était
du genre à sauter au cou de personne.Un jour,par je ne sais plus quel malentendu,
le papier que j'attendais de lui se trouva occuper une page de plus que prévu.
IL n'était pas question pour lui que je coupe,pas question pour moi de changer
le chemin de fer.Il était le chroniqueur vedette,j'étais le patron de la rédaction.
Des menaces de démission flottaient dans l'air.Jean-Claude Varanne,qui devait
se sentir un peu coupable du cafouillage,trouva l'idée de rajouter quatre pages
au numéro.Le compromis était acceptable pour les deux parties et depuis François
et moi sommes demeurés amis.
Nous prîmes l'habitude de déjeuner ensemble pour parler de la situation politique
et du journal.Après notre départ de
National-hebdo,c'est toujours lui qui
me rinçait.A des tables réputées ou dans des bistrots très simples,la chère était
toujours excellente et la conversation spirituelle.
François était naturellement généreux.Quand je pense à lui,c'est souvent à table.
C'était une fine gueule qui n'hésitait pas à l'ouvrir.
Je me rappelle par exemple ce dîner de novembre 1998 chez Serge de Beketch
où "la presse amie" tenta de raisonner Le Pen pour éviter la rupture avec Mégret.
Jean-Marie ne prit pas bien la chose.Son fan club s'érigeait tout soudain en conseil
de famille.Il haussa le ton.Quand Le Pen fâché lui toujours faire ainsi.
Mais le gros temps n'impressionnait pas François.
Parmi l'élément masculin de l'assistance,il fut le seul à préconiser bille en tête
un ticket Le Pen-Mégret,quand Ratier,Madiran,Serge et moi tentions maladroitement
de prendre des gants.
Son franc-parler ne lui valut pas des lits de roses ni des arcs de triomphe,
même dans la presse qu'il avait choisie.
Il quitta
RIVAROL,quand il ne s'y sentit plus à l'aise,puis
Minute quand
Jean-Claude Goudaud le reprit en 1987,
Présent lorsqu'il tomba en désaccord
avec Jean Madiran sur le révisionnisme et
National-hebdo quand Le Pen
le déçut.A la différence de la presse bourgeoise qui offre aux grandes consciences
journaleuses des carrières de ménagères américaines,se nourrissant à la même
mangeoire toute une vie ou se faisant des strings en or en divorçant à propos,
le journalisme d'extrême-droite est une union libre: quand on ne se plaît plus
on se quitte.
Cette fois,François nous a quittés tous et ce n'est pas sur un coup de tête.
J'ai manqué deux rendez-vous avec lui.Ses obsèques,hélas.
Puis, le lendemain du pot de
RIVAROL,cette année,je devais accompagner
des amis chez lui,mais ça ne s'est pas fait,j'espérais le revoir d'ici l'été,je pensais
avoir le temps,et voilà.
Je préfère me souvenir de deux déjeuners encore avec lui.Le dernier,chez lui
à Saint-Cloud,le jour où je suis passé lui offrir
A quoi sert l'histoire.
Ma voiture était en panne et il pleuvait comme vache qui pisse.
Il avait fait lui-même la cuisine et nous avons bavardé tard dans l'après-midi
autour de plusieurs bouteilles.
Et un autre,chez moi,juste avant mon départ de Paris en 2002.
Le déménagement était quasi terminé.Il n'y avait plus que la cuisinière et,
au milieu du salon,une table et trois chaises.
Serge avait apporté du champagne et François du Bushmill.Le jardin sentait bon
mais il ne faisait pas très chaud.Nous avons parlé du temps qui passe et des espoirs
politiques qui s'en vont.Ce n'était pas l'alcool qui nous a tenus longtemps assis
sur nos chaises:nous savions bien qu'une fois que nous nous serions levés,
un moment de la vie aurait passé.
Obsèques de François Brigneau:
ils étaient (presque) tous là.Les obsèques de François Brigneau se sont déroulées vendredi 13 avril,
au cimetière de Saint-Cloud.Deux cents personnes étaient venues lui rendre
un dernier hommage.On reconnaissait dans la foule Jean Madiran,Roger Holeindre,
Me Eric Delcroix,Camille-Marie Galic,Hervé Ryssen,Patrick Gofman,Hubert Massol,
Emmanuel Ratier,Jean-Yves Le Gallou,le professeur Faurisson,Robert Spieler et Chard,
qui représentaient
RIVAROL,(Jérôme Bourbon et André Gandillon,absents,
animaient à Nice une conférence rivarolienne prévue de longue date),Jeanne Smits,
Olivier Figueras et Jean Cochet pour
Présent,Jean-Marie Molitor pour
Minute,
l'épouse de Serge de Beketch,Gilles Soulas,l'abbé Paul Aulagnier,et aussi les anciens
d'Ordre Nouveau:Alain Robert,José Bruno de la Salle et Jack Marchal.
Et puis,tous les autres,que nous ne citerons pas mais qui communiaient avec ferveur
dans cette espérance,immense et rouge,pour reprendre les mots de Robert Brasillach...
Le Front national et Jean-Marie Le Pen étaient absents.
Aucun hommage sur les sites officiels du FN mariniste.Bruno Gollnisch avait écrit
sur son blog un texte en hommage à François Brigneau.Il fut contraint par Marine
Le Pen de le retirer.
Ii y a décidément des moments,que nous préférerions ne pas vivre,où le chagrin
le dispute à l'indignation....
Bien qu'il n'y ait pas eu de cérémonie religieuse,François Brigneau n'étant hélas pas
baptisé,l'abbé Grégoire Celier prit la parole et invita l'assemblée à chanter le
Salve Regina.
Un fils de François Brigneau et deux de ses petites-filles rendirent hommage à
"bon papa",qu'ils aimaient et admiraient tant.Philippe Colombani (Aramis),
au bord des larmes,conclut cette cérémonie en rappelant que François Brigneau
marchait désormais en esprit dans nos rangs.
Tous les participants reprirent ce chant de mélancolie et de fidélité,
"la cavalcade"avant de couvrir le cercueil de François Brigneau de tulipes et de pétales de roses.
Dans le registre de condoléances,on pouvait lire,tant et tant de fois,cette phrase:
"Adieu,camarade !" Une photo de François Brigneau fut distribuée.
Au verso figure ce magnifique texte qu'il avait écrit en 1998 dans :
"Avant de prendre congé"
"C'est vrai que le jour baisse.J'aurais voulu partir comme un danseur de pardon breton,
fier sous son chapeau rond,les reins creusés,les pouces passés dans les entournures
de son chuppen brodé.Je m'en vais comme un laboureur harassé,qui entend
l'angélus du soir,pense à la maisonnée,au Bon Dieu,se retourne et se demande
si le grain lèvera jamais dans son sillon"Adieu,camarade !HannibalSOURCE:
RIVAROL n°3043 du 20/04/2012,page 12.