Maria Poumier
07/12/12 :: 6:28
"Iran,la destruction nécessaire"
Jean-Michel Vernochet,journaliste expérimenté,sait trouver des titres équivoques
qui sont autant de titres choc. Son livre de 2003, « L’islam révolutionnaire »,
mise en forme de la pensée de « Carlos » Ilich Ramirez Sanchez, a ainsi trouvé
ses lecteurs, non seulement du côté des musulmans passionnés de politique
et de révolution, mais aussi chez d’autres, terrifiés par l’idée que l’islam
porte effectivement un projet révolutionnaire dévastateur pour les sociétés européennes telles qu’elles fonctionnaient avant la grande vague
d’immigration musulmane.
Ce nouveau livre à tonalité apocalyptique passionnera tant ceux qui souhaitent
la destruction de l’Iran, que ceux qui la redoutent. Riche d’informations
relevant de la géopolitique, des tendances enracinées dans l’espace
et l’histoire diplomatique, il établit la centralité de l’Iran dans la conjoncture
actuelle, mais ne traite nullement du potentiel idéologique subversif
qu’il était censé abriter jusqu’à une date récente.
C’est là la première surprise, reflet d’une mise à jour radicale.
Effectivement, depuis ces dernières années, l’islam sunnite est le cadre
de reprises en main de nombreux pays, mais bien souvent sans plus
contester le système économique néo-libéral, et dialogue avec les représentants
de l’ex « grand Satan » occidental dans des termes qui vont de la courtoisie
à la collaboration,tandis que l’islam chiite,son concurrent, ne semble
nullement soucieux de convertir l’Occident
à sa foi. L’Iran réaliste cherche à se faire des alliés sur la base des intérêts
économiques mutuels, et ne brandit plus guère dans sa rhétorique
qu’une question passionnelle, la condamnation d’Israël comme haut lieu
de mensonge, de terrorisme d’Etat et de vol des terres palestiniennes;
ce bilan de l’Etat juif étant désormais partagé par toute la planète,
comme vient de le montrer le vote à l’ONU en faveur de la reconnaissance
de l’Etat palestinien,l’antisionisme iranien ne constitue plus un fer de lance
contre l’Occident,mais un lieu commun pouvant servir de base de travail.
Pourtant, Hollywood relance la propagande contre l’Iran avec le film Argo,
sorti en novembre 2012, montrant les Iraniens révolutionnaires animés
par la foi de l’iman Khomeiny comme des gens soudés par une férocité
à toute épreuve.
Il s’agit d’un film conçu directement par le Pentagone comme outil
de brouillage de la sensibilité populaire aux questions de politique
internationale, préalable indispensable à une agression militaire,
qui devrait, pour réussir, passer comme une lettre à la poste dans l’opinion
publique du monde entier.
Et la sortie mondiale du film a été programmée pour accompagner l’entrée
en vigueur de la nouvelle présidence US, et un nouvel élan guerrier.
La riposte de J. M. Vernochet vise les profondeurs cachées de l’enjeu,
et son livre, mémoire pédagogique, clair, précis et ordonné, établit
l’existence de blocs de réalité sourds à toute idéologie, mais pour
cela même, infiniment plus déterminants que tous nos divers souhaits,
et concourant vers la catastrophe.
Se situant dans une avant guerre inéluctable, l’auteur conclut:
« au demeurant l’issue de la crise iranienne se jouera au final
sur une partie de poker tricontinentale.
L’Amérique abattant ses cartes avec le revolver sur la table, la Russie
et la Chine s’interrogeant avec anxiété » sur la part de bluff que
les gens de Washington et de Tel Aviv font intervenir dans ce jeu délétère,
se demandant quant à eux jusqu’où ne pas aller trop loin. »
Si c’est bien là une représentation dessillée des forces en présence,
le pronostic ne fait guère de doute…
Radicalement pessimiste, toute l’analyse des facteurs financiers,
énergétiques, géopolitiques et diplomatiques débouche sur le pari
que l’Iran va tout perdre,dans très peu de temps: sa souveraineté,
son intégrité territoriale, sa capacité à se doter d’installations nucléaires
civiles, la maîtrise de ses hydrocarbures, et sa fierté nationale bâtie
sur une longue histoire de résistance aux impérialismes occidentaux.
C’est ce qui est arrivé à l’Irak, à l’Afghanistan, à la Libye,
c’est ce qui est prévu en Syrie, la porte d’accès à l’Iran.
Les références appuyant ce raisonnement sont détaillées,vont à la source,
et font découvrir des auteurs peu connus.
Comme c’est souvent le cas, on les trouve dans les notes de bas de page qui
ont pour but d’étayer le discours principal, en haut de page, mais qui introduisent
de fait une diversification des points de vue, contrastant avec l’homogénéité
de la thèse principale, selon laquelle nous sommes, dans le monde entier,
prisonniers d’un système unique, « l’Amérique-monde »: « de la même façon
que la tectonique des plaques rend compte des mouvements de l’écorce terrestre
des séismes subséquents, la rencontre du bloc est-asiatique Russie-Chine
et de la puissance océanique, l’Amérique du Nord et son satellite européen,
est régie par une logique tri-dimensionnelle dont le développement est autonome, indépendant de la volonté des hommes auxquelles elle impose ses nécessités intangibles.»
Si nous prolongeons l’esprit des notes, où voisinent, comme références,
le marquis de Sade,Max Stirner,Ayn Rand,David Friedman,Marcela Yacub,
Francis Caballero, Jean Danet, Frederic Grimm, James Burnham, l
a sphère des idées reprend de sa vigueur, tout d’abord avec la foi
quelque peu dogmatique de l’auteur dans la cohérence
du système-monde.
Il y a des forces qui nous écrasent et poussent inexorablement
à la destruction de l’Iran,certes,mais la première contradiction
qu’apporte le livre à sa propre lucidité fataliste,c’est la colère de l’auteur.
Son livre intensément subjectif,porté par l’indignation contre ceux
qui veulent l’anéantissement de l’Iran,c’est un excellent outil de mobilisation.
Il faut protéger l’Iran,car c’est la condition de notre survie comme nation,
et c’est l’indépendance de l’Europe qui est en jeu,contre USA et Israël,
voilà le message que le titre maquille.
L’avenir que « le système » réserve à l’Iran,c’est le sort de l’Allemagne,
dont la ruine, l’impuissance et le morcellement ont été planifiés et mis
en œuvre par les Britanniques et les Américains dès le XIXème siècle,
et prolongée bien après 1945.
Pourtant, l’Allemagne a retrouvé son unité,sa richesse,et sa capacité d’initiative.
Le nationalisme est-il la grande idée qui porte la résilience allemande ?
Fait-il toujours la force de la résistance iranienne ?
Est-ce ce qui peut nous ressusciter ?
Le besoin de justice sociale est tout aussi fort, pour soulever les peuples,
que la fascination pour leur propre identité.
Dans le contexte de crise financière faisant redécouvrir la misère
aux anciens pays qui vivaient des rentes de l’impérialisme,
la poussée révolutionnaire chez les sacrifiés et chez leurs
penseurs est réelle.
Comme dans toute résistance à une agression étrangère,
c’est dans la synchronisation entre nationalisme et revendications
à la base de la société que se cache la clé de la victoire.
Vernochet n’aime pas les communistes,et il insiste lourdement
sur les faits qui confortent son idée que le bloc soviétique a été soutenu,
entretenu,maintenu en vie par les vivres que lui fournissaient de grands exportateurs américains.
Mais il faudrait ajouter que le monde capitaliste a été en retour obligé
par le modèle soviétique d’instaurer des systèmes de protection sociale
qu’il abomine et ruine chaque fois qu’il le peut.
Obama a affronté, combattu et vaincu l’Amérique wasp
en implantant un minimum de sécurité sociale dans son pays, au moment
où celui de l’Europe subit les coups de boutoir du rouleau compresseur
de l’anarcho-capitalisme.
C’est un retournement de situation au cœur du système.
Il ne peut qu’être porteur d’autres surprises d’envergure.
La guerre contre l’Iran est déjà en cours, les sanctions assassinent
l’économie iranienne et déstabilisent le gouvernement, après avoir
plombé le potentiel idéologique libérateur du chiisme dans l’opinion
publique occidentale.
Dans les facteurs concourant pourtant à une victoire de l’Iran,
il faudrait développer la relative autonomie de l’Afrique du Sud,
de l’Angola, du Venezuela, de l’Argentine, capables de surprendre
et de consolider le groupe de ceux qui ont choisi de signer des accords
de coopération en complète opposition avec les projets US:
Brésil, Inde, Turquie.
Comme la Turquie,les autres voisins de l’Iran ont des intérêts contradictoires,
mais la Syrie et l’Irak sont d’ores et déjà ses alliés,outre la Russie et la Chine,
et les atouts de l’Iran mériteraient un autre livre complémentaire.
Certains dans la classe politique israélienne,envisageraient même l’alliance
avec l’Iran, contre les USA, tandis qu’aux USA, il en est d’autres qui souhaitent
la consolidation nucléaire de l’Iran pour parer à la folie expansionniste d’Israël !
Une chatte persane saura-t-elle y retrouver ses petits ?
L’auteur appelle de ses vœux un miracle, qu’il se manifeste sous forme
d’homme providentiel ou d’une colossale défaillance inattendue
dans le camp des présumés vainqueurs.
Nous parions sur l’accumulation de petits miracles, dont ce livre fait
d’ores et déjà partie. Si l’Iran réchappe du plan de destruction inclus
dans la logique prédatrice de l’anarcho-capitalisme hégémonique,
ce sera entre autres grâce au travail de réinformation des journalistes sérieux.
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Pour commander ce livre:
http://www.editions-xenia.com/livres/page123/index.html