Dans un article d’une rare partialité que
Le Monde en date du 27 janvier 2012
consacre au Rwanda, MM. Christophe Ayad et Philippe Bernard me citent de la
manière suivante :
« En 2004 il (Jean-Pierre Chrétien) a participé à une commission d'enquête citoyenne,
mise en place par l'association Survie, pour dénoncer le rôle de la France.
Cela a valu à Jean-Pierre Chrétien de virulentes attaques de l'historien Bernard Lugan,
ancien maître de conférences à l'université Lyon-III, proche de l'extrême droite.
Ce dernier a écrit plusieurs ouvrages pour innocenter François Mitterrand, l'armée
française et l'Eglise catholique au Rwanda (François Mitterrand, l'armée française
et le Rwanda, éditions du Rocher, 2005). Il a témoigné en faveur de génocidaires
hutu poursuivis devant le TPIR ». Le lecteur du Monde aura retenu trois choses :
1) Je serais « proche de l’extrême droite », jugement de valeur permettant
de sous-entendre que je ne suis pas crédible et donc par avance disqualifié.
2) J’aurais écrit « plusieurs ouvrages pour innocenter François Mitterrand,
l'armée française et l'Eglise catholique au Rwanda ». L’emploi du mot « innocenter »
a son importance car il signifie que pour MM. Ayad et Bernard, le président François
Mitterrand, l'armée française et l'Eglise catholique seraient coupables ou pour
le moins complices de ce génocide…
Est cité à l’appui de cette affirmation un livre datant de 2005 dans lequel je défends
très exactement le contraire de ce que prétendent me faire dire les journalistes du
Monde.
J’y reprends en effet en la développant l’idée centrale d’un précédent livre qui est
que les conditions du génocide résultent de l’engagement pro Hutu de l’Eglise catholique
en 1959, puis de l’obligation démocratique imposée par François Mitterrand au président Habyarimana à partir de 1990…L’on chercherait en vain dans cette problématique
une tentative visant à « innocenter » le président Mitterrand et l’Eglise catholique.
Quant à l’armée française comme elle a quitté le Rwanda fin 1993, soit plus de
six mois avant le début de ce génocide, elle n’a effectivement aucune responsabilité
dans ce drame contrairement à ce que certains obligés de Kigali cherchent à faire croire.
Les journalistes du Monde sont donc pris en défaut de « bidonnage » car :
- ils n’ont manifestement pas lu mon livre,
- ils tirent directement leurs « informations » de sites informatiques spécialisés
dans les dénonciations de basse police.
- Ils omettent en revanche de mentionner un ouvrage plus récent dans lequel
je fais le bilan de la question, notamment à travers les travaux du TPIR.
3) J’aurais « témoigné en faveur de génocidaires hutu poursuivis devant le TPIR »,
ce qui serait la suite logique des points 1 et 2. En effet, qu’attendre d’autre d’un
« proche de l’extrême droite » qui a osé écrire « plusieurs ouvrages pour innocenter
François Mitterrand, l'armée française et l'Eglise catholique au Rwanda »?
Le problème est que je n’ai jamais « témoigné en faveur de génocidaires
hutu poursuivis devant le TPIR ».
A quel titre d’ailleurs aurais-je pu le faire puisque je n’étais pas au Rwanda
au moment du génocide et que je n’ai donc pas été le « témoin » des faits qui
leur sont reprochés ?
En revanche, connaissant intimement le Rwanda où j’ai enseigné et mené
des recherches archéologiques durant plus de dix années, pays auquel j’ai consacré
deux thèses dont un Doctorat d’Etat en six tomes, j’ai, pour ces raisons académiques,
été six fois assermenté comme Expert par la Cour à laquelle j’ai remis des rapports
totalisant près de 2000 pages[3]. Le document joint en annexe et qui émane du
Greffe du TPIR permet de mettre en évidence la grave faute déontologique commise
par les deux journalistes du Monde.
A leur décharge, il est utile de préciser qu’ils ignorent peut-être que le TPIR étant régi
par les règles juridiques anglo-saxonnes, il n’y existe pas d’Experts de la Cour comme
en France et que les Experts cités y sont proposés aux Chambres par les parties
(Accusation et Défense). Pour chaque affaire, ces experts doivent renouveler leur
accréditation, processus long et fastidieux au terme duquel ils sont soit récusés,
soit acceptés et dans ce dernier cas, ce n’est qu’après avoir prêté solennellement
serment qu’ils deviennent selon le terme anglo-saxon « Witness Expert ».
Le contre-sens fait par les journalistes du Monde pourrait donc s’expliquer soit par
une désolante mauvaise foi, soit par une maîtrise incertaine de la langue anglaise
ajoutée à des connaissances fragmentaires concernant la Common Law.
La « morale » de cette affaire est claire et elle tient en deux points principaux :
1) Nous avons ici la parfaite illustration du naufrage de la presse française
qui a perdu une grande partie de sa crédibilité en raison de son Maccarthysme,
du formatage et des insuffisances de ses journalistes.
Cette presse militante et moribonde qui ne survit que par les aides de l’Etat
et les abonnements institutionnels n’a d’ailleurs plus aucune influence à l’extérieur
de sa niche écologique parisiano-conformiste.
2) Je ne ferai pas de droit de réponse et cela pour deux raisons :
la première est qu’il serait caviardé et la seconde parce que je touche beaucoup
plus de lecteurs et plus rapidement, avec un simple communiqué diffusé par internet.
D’autant plus que nombre des visiteurs de mon blog font suivre mes communiqués
à leurs réseaux, ce qui en démultiplie les effets.
Bernard Lugan28/01/12
http://www.bernard-lugan.com