La question de l'abrogation de la loi Veil divise nos milieux.
Certains la jugent indispensables et prioritaire,d'autres la pensent impossible
et même contre-productive compte tenu de l'état actuel des moeurs,
des consciences et des institutions.Si l'on s'en tient à ce qui a été réalisé
par le dernier régime authentiquement national que nous ayons connu
en France,à savoir le gouvernement de Vichy,il faut reconnaître qu'il s'est montré
très répressif en la matière.Les lois du 3 septembre 1940,du 7 septembre 1941
et du 15 février 1942 sont là pour nous le rappeler.
Les juges pouvaient aller jusqu'à prononcer la peine capitale,et cela même si
les manoeuvres abortives n'avaient pas provoqué la mort d'un petit être
(arrêts de la chambre criminelle de la cour de Cassation des 8 juillet et
21 octobre 1943).
Cependant croire aujourd'hui que toutes les femmes qui avortent le font
par simple égoïsme (
"mon corps est à moi",
"je décide seule",
"je ne veux pas de cet enfant car il me gêne dans ma vie,mon travail,
ma carrière....") est très réducteur.Certes c'est le cas d'une partie d'entre
elles mais pas de la totalité.Bien des femmes qui pénètrent dans un centre d'IVG
sont dans une situation de détresse totale due à la pauvreté,à la précarité,
aux pressions du conjoint,de la famille,de l'employeur...
Ecrasées par des circonstances cent fois plus fortes qu'elles,elles avortent
avec le sentiment du désespoir,parce qu'elles n'ont pas trouvé l'aide qu'il fallait.
Le drame,c'est que de nos jours les centres qui peuvent accueillir les jeunes femmes
enceintes sont rares et surtout pu connus.Il faut dire que tout est fait par les pouvoirs
publics pour qu'ils ne soient pas connus !
Dans cette situation,repénalisez aujourd'hui l'avortement sans donner aux femmes
les moyens matériels,les soutiens psychologiques nécessaires,pour garder l'enfant,
et les plus débrouillardes iront à l'étranger (là où il est autorisé),pendant que
les autres recourront aux "faiseuses d'anges",avec tous les dangers que cela comporte.Situation intolérable que le "Procès de Bobigny"(octobre-novembre 1972)
avait bien mis en lumière,nous n'entrerons pas ici dans le débat quant à son évidente
instrumentalisation par la communautaire Gisèle Halimi et par les loges maçonniques
qui ont joué un rôle moteur dans la dépénalisation de l'avortement
(que l'on songe au rapport du frère Simon !).
Aider les femmes enceintes démunies.Voilà pourquoi en matière d'avortement,l'action répressive (certes en soi nécessaire) reste injuste si elle n'est pas accompagnée,dans un premier temps,d'un projet d'aide
immédiate aux femmes enceintes démunies.
Or,cette aide,c'est à l'Etat de l'organiser et de la coordonner,avec l'aide des
associations charitables,afin qu'elle soit le plus efficace possible.
Sous le maréchal Pétain,les autorités ne se préoccupèrent pas seulement
de réprimer comme on l'a vu,elles oeuvrèrent pour la création de "maisons maternelles".
L'idée n'était certes pas neuve,puisqu'un décret-loi de juillet 1939 prescrivait
aux préfets,dans chaque département,de signer une convention avec un établisse-
ment privé ou public qui serait chargé d'accueillir,sans formalités,les femmes
enceintes d'au moins sept mois et les mères avec leurs nouveau-nés.
Mais la guerre et la défaite avaient relégué dans l'ombre cette question.
En 1942,seuls dix centres d'accueil existaient.
Puis vint le docteur Jacques Grasset,un médecin maréchaliste qui fut nommé
secrétaire d'Etat à la Famille et à la Santé publique.Ayant repris le projet en faveur
des mères abandonnées,le 11 mai 1944,au château de Vic-le-Comte,il inaugura
officiellement la première "maison maternelle"
(celle-ci fonctionnait depuis un certain temps déjà).
L'établissement était chargé de recueillir des jeunes femmes enceintes d'au moins
sept mois et dont la situation était très précaire,la plupart du temps parce
qu'elles avaient été abandonnées par le géniteur et que,rejetées de tous,
elles se retrouvaient à la rue...
Afin de mettre en confiance celle qui vieindrait frapper à la porte,les statuts
de l'établissement lui assuraient l'incognito le plus complet.
Interrogé par
Paris Soir,le docteur Grasset expliqua:
"Entendez qu'aucune question ne lui est posée dès qu'elle a franchi le seuil
de la maison.Elle peut donner un nom qui n'est point le sien,conter une histoire
qui n'est pas la sienne.
Elle peut n'avoir point de religion.Il lui suffit d'être là,dans la peine et d'avoir
besoin d'aide." (
Paris Soir,12 mai 1944,page 1).
La "maison maternelle" avait trois objectifs:
- amener l'accouchement à terme,
- éviter l'abandon du nouveu-né
- convaincre la jeune mère de la nécessité de l'allaiter elle-même.
Afin d'y parvenir,il fallait tout d'abord débarrasser la future maman de sa terreur
ou de sa haine à l'encontre de l'enfant qu'elle portait:
"la maison maternelle,ce doit être le havre pour la femme abandonnée.
Il faut que,dès son entrée,elle dépose son fardeau,fardeau de rancoeurs
contre tous,contre la vie,terreur ou haine du petit être qui est en elle,
pour peu à peu,reprendre confiance et comprendre enfin que mettre un petit
enfant au monde,ce n'est ni un acte honteux,ni un acte coupable,mais
une tâche belle,saine,d'où viennent des joies insoupçonnées" (
Id.).
Faire revivre en elles l'instinct maternel.Naturellement,un tel objectif ne pouvait être atteint seulement au moyen de discours
et de leçons de morale.Le mieux était l'exemple.L'idée lumineuse du docteur Grasset
avait donc été de faire vivre ensemble les jeunes arrivantes (encore enceintes)
et celles qui avaient déjà accouché,en permettant à ces dernières de rester
plusieurs mois après sa naissance:
"Les pensionnaires des maisons maternelles,après leur délivrance,ont la possibilité
de rester un an,avec leur enfant,à la fondation.C'est-à-dire que la future mère
qui vient à nous voit chez ses compagnes naître et s'épanouir l'amour maternel.
Elle est le témoin des premières grâces des nouveau-nés,des premiers bonheurs
que donne l'enfant à qui se penche sur lui.En elle,s'il n'existait déjà,l'instinct
maternel s'éveille.
Ainsi,la maison maternelle a déjà atteint ses buts essentiels:
amener l'accouchement à terme et éviter l'abandon de l'enfant"(
Id.).
Cette façon d'agir était-elle couronnée de succès ?
"Oui.Dans l'ensemble,oui"répondit le docteur Grasset qui se fondait sur son expérience (
Id.).
J'ajoute qu'à sa sorie,la jeune maman ne se retrouvait pas seule,à la rue,
avec sa progéniture.La plupart du temps,elle était pourvue d'un emploi que
la maison maternelle lui avait trouvé:
"tous nos efforts,précisa le docteur Grasset,
tendent à trouver un mode
d'activité qui permet à la mère de ne point se séparer de son bébé"(
Id.).
En Belgique aussi,une expérience semblable existait.Dans un article publié fin
1943 par une revue collaborationniste belge,une journaliste,Marie-José Herwijns,
racontait ce qu'elle avait vu dans une maison pour filles mères que gérait
l'Armée du Salut à Bruxelles.Tout d'abord,elle soulignait la détresse de ces pauvres
filles qui,trompées et abandonnées par le géniteur,se présentaient à la porte
de l'établissement:
"Quand s'adressent-elles à ces maisons de filles mères ?
Quand,traquées par la misère,elles ne savent plus où aller.
Combien ne se sont pas présentées à l'accueillante maison de la rue Dupont,
la bourse absolument vide et n'ayant que quelques nippes sur le corps,
aigries,détestant leur enfant et bien résolues à l'abandonner après la naissance ?"(
Les Hommes au Travail,15 décembre 1943,p.8col.B).
Le règlement de l'établissement était toujours strict:il précisait qu'en échange
des soins reçus,les futures mères devaient séjourner là deux mois encore après
l'accouchement,afin de s'occuper de leur bébé.Et en pratique,c'était plus long:
les jeunes mamans étaient gardées cinq ou six mois.Le résultat ?
M-J Herwijns l'expliquait ainsi:
"Entourées d'affection,de soins,de sollicitude,elles cèdent à la bienfaisance
influence qui s'exerce sur elles.A force de vivre quotidiennement avec
leur enfant,de cet enfant qui,leur rappelle davantage une erreur qu'un grand amour,
l'instinct maternel,qui s'était pétrifié en elles,se ranime,fleurit,s'épanouit" (
Id.).
Si bien qu'au moment de choisir entre la garde et l'abandon,seules les filles
vraiment traquées par la misère ou celles qui avaient hâte de retourner
à une mauvaise vie optaient pour l'abandon.Les autres (une majorité 70%)
choisissaient de garder l'enfant.M-J Herwijns constatait:
"Courageusement les jeunes mamans travaillent pour leur mioche"Parfois,une grande partie du salaire servait à payer l'institution qui gardait
l'enfant dans la journée.(
Id,p.9).Mais c'était leur enfant,et elles étaient
désormais prêtes à tout pour lui.
Les expériences menées sous l'Occupation furent hélas de courte durée.
En France,quelques mois après la première inauguration de cette maison
maternelle,la "Libération" survint,bouleversant tout.
Arrêté et jugé pour "atteinte à la sûreté de l'Etat",le 18 décembre 1947,
J.Grasset bénéficia d'un non-lieu pour "faits de résistance".
Mais ses nobles projets en faveur de la mère abandonnée s'évanouirent,
l'un d'entre eux prévoyait la création dans chaque hospice cantonal,
d'une salle d'accouchement et d'une petite structure permettant à la jeune
mère de séjourner pendant sa convalescence.
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