" Je suis Karl May en personne ! " Hyazinth Strachwitz naquit le 30 juillet 1893 au sein d'une famille
de vieille noblesse de la Haute-Silésie,à Grosstein.
A l'instar de tous les premiers-nés des Strachwitz depuis sept siècles,
il reçut le prénom du saint silésien en l'honneur duquel les comtes
Strachwitz de Grossgaucha-Gammnietz comptaient parmi les plus riches
propriétaires fonciers et forestiers de la contrée.
Ils sortirent de la Deuxième Guerre mondiale perdus dans l'immense
foule des expulsés et des spoliés.Blessé quatorze fois,le comte Hyazinth
ne possédait plus rien d'autre qu'un uniforme déchiré,avec,derrière lui,
une brillante carrière militaire.
Nommé lieutenant dans le régiment des Gardes du corps de Posdam,
il avait terminé son temps de cadet à Lichterfelde avec ses amis
Manfred von Richthofen et Hans von Aulok.
Après le coup de feu de Sarajevo qui déclencha la Première Guerre mondiale,
le jeune comte fit son entrée en France à cheval,avec son régiment.
On avait décidé au grand quartier général de constituer une patrouille montée
qui aurait pour mission de déterminer par une reconnaissance lointaine où
se trouvait la force principale de résistance de l'ennemi.
Mais le lieutenant comte Strachwitz poussa beaucoup plus avant qu'il n'était
prévu,allant jusqu'aux abords de Paris,et fut fait prisonnier avec la satisfaction
d'avoir failli terminer victorieusement la guerre par un coup de main sur la capitale
de la France.Tombé gravement malade,il fut envoyé en Suisse.
La guerre finie,il rentra en Allemagne après avoir craint qu'une inflammation
des nerfs ne l'eût rendu définitivement inapte au service.
Mais,après un an de convalescence,il obtint en 1921 le grade de
premier-lieutenant avec effet rétroactif de cinq ans.
Quand les Polonais tentèrent de séparer du Reich la Haute-Silésie,
il fut des hommes infatigables qui chassèrent de chez eux l'envahisseur
après des combats acharnés.Il se battit de façon si remarquable sous
le commandement des généraux von Hülsen et Höfer que les chefs
des francs-tireurs polonais mirent sa tête à prix.
L'heure décisive sonna pour lui,quand les Polonais s'emparèrent de l'Annaberg,
symbole de la Haute-Silésie,après que la position eût été prise et reprise
plusieurs fois.Les corps-francs allemands se lancèrent dans la dernière attaque.
Tournant avec ses hommes les défenses polonaises,le comte Strachwitz
se battit en un corps-à-corps acharné,et fut le premier Allemand à atteindre
le sommet de l'Annaberg,liant pour jamais son nom à la liberté et à l'existence
de sa petite patrie.
Après la défaite du soulèvement polonais,il quitta l'uniforme pour se consacrer
à la gestion des biens de sa famille.
En 1934,il fut appelé pour une période d'instruction au 7è régiment de cavalerie,
à Breslau.Cependant que l'armée blindée était devenue la cavalerie moderne,
il demanda à être affecté aux unités constituées par les généraux Lutz et Guderian,
puis se consacra à l'instruction des réservistes du 2è Régiment Panzer d'Eisenach.
Pendant les campagnes de Pologne et de France,l'officier de réserve comte
Strachwitz se tailla une réputation:fonçant dans la bataille à bord d'une simple voiture
de liaison,il s'élançait vers l'ennemi,contre lequel il engageait des combats individuels.
Ses escapades firent naître une sorte de légende autour du "comte téméraire",
en même temps qu'elles valurent les barrettes à sa Croix de fer.
Vint,le 22 juin 1941,la guerre contre l'URSS.
A la tête de son bataillon de la 16è division blindée,le major comte Strachwitz,
s'enfonça dans les vastes étendues de l'Union soviétique.
Mais,dans le secteur d'Ivka,les éléments avancés des Panzers allemands
furent attaqués par de grandes masses d'infanterie et Strachwitz se vit bientôt
encerclé.Ordonnant le corps-à-corps,il mit pied à terre.
Atteint d'une balle,il la fit extraire sur-le-champ de sa blessure et se jeta
dans une nouvelle attaque à la tête de ses hommes.
A Verba,il détruisit des blindés ennemis qui avaient percé le front sans
leur laisser le temps d'attendre les éléments du train,puis poursuivit
la marée refluante des Soviétiques sans se laisser arrêter par la nuit.
Encerclant l'adversaire,il se détacha de lui,et,opérant dans son dos,
anéantit plusieurs batteries,s'empara d'un butin considérable,et ouvrit
la brèche à sa division qui fonça en avant.
Le 21 octobre 1941,il reçut la Croix de Chevalier et,le 17 novembre 1942,
la feuille de chêne.
Une attaque surprise lui permit de conquérir le point fortifié de Pervomaïsk.
Avançant dans le premier char de son bataillon,il franchit les ponts du Bug,
attaqua une colonne de trois cents véhicules,anéantit des canons antichar
et des pièces d'artillerie.
A Uman,loin en arrière des lignes soviétiques,il sema la panique et l'effroi
chez des troupes de réserve et des chars en position d'attente.
Quand les combats se transportèrent à Stalingrad,il était devenu
lieutenant-colonel.Chassant avec ses chars loin devant l'infanterie,
il fut le premier soldat allemand à patrouiller dans les rues de la ville.
Encore une fois blessé,il resta avec ses hommes,détruisant avec
son bataillon des centaines de T-34.De nouveau blessé,il prit une fois
guéri le commandement de l'unité blindée
Grossdeutschland,
bataillon devenu régiment,qu'il conduisit à de brillants succès.
Il affirmait à l'occasion qu'il disposait d'un sixième sens,et l'on pouvait
voir ce commandant de régiment,promu entre-temps colonel,cultiver
à ses moments de liberté ses aptitudes suprasensibles en manipulant
une baguette magique.Ce don était inné dans sa famille,et l'un
de ses parents,le comte Matuschka était célèbre par ses capacités
de voyance.On prétendait que des forces magnétiques sortaient
des mains du comte,qui était certainement doué d'une extraordinaire
prescience.
"
Je sens quand un char me regarde du coin de l'oeil ! "
aimait-il à dire.
Il lui arriva de s'enfoncer très loin dans l'arrière-pays avec quatre chars
pour repérer les positions de l'adversaire.Soudain,il aperçut à l'horizon
un long ruban gris qui se déroulait interminablement à faible allure.
Des chars ! Soigneusement camouflé,il attendit l'approche des Soviétiques.
" Que personne ne tire avant moi, dit-il à ses hommes.
Je tirerai vers l'avant,les deux chars extérieurs prendront le centre,
et mon voisin choisira librement son objectif."Une heure plus tard,105 chars soviétiques dressaient dans le paysage
leurs masses inertes et calcinées.Pas un seul des hommes de Strachwitz
n'avait été touché.
(Kharkov 1942)
Son souci était d'infliger à l'ennemi de grandes pertes avec peu de moyens.
Entêté,il aimait la guérilla qui lui permettait d'attaquer l'adversaire là
où celui-ci ne l'attendait pas.L'attaque et le coup de main étaient pour lui
l'alpha et l'oméga de la guerre.
" Je ne hais rien autant que les chars qui demeurent immobiles !
Les chars sont faits pour rouler !"Telle était la théorie,constamment mise en pratique,par cet homme
à l'allant impétueux et à l'impassibilité devenue proverbiale.
S'il ne pouvait tirer,il attaquait l'ennemi dans le dos en faisant aller
son char à la vitesse maximum.
" Pourquoi roulez-vous toujours vite ?" lui demandait-on.
" Parce que j'ai peur, répliquait-il.
les chars ne sont menacés
que s'ils roulent lentement ou s'ils restent sur place."Il fut le premier commandant de régiment à recevoir des chars Tigre
pour vérifications et essais.Les spécialistes ne juraient que par ce char
ultralourd qui, selon eux,était de loin supérieur au dangereux et rapide T-34.
Son canon de 8,8 mm,son large rayon d'action,sa précision de tir absolue
à une distance de 4 kilomètres,surclassaient disaient-ils tous les modèles existants.
Quand le comte reçut ces "gros morceaux",la bataille de Bielgorod faisait rage,
Kharkov étant au centre des combats et les Allemands ayant été chassés
de la ville,plaque tournante du secteur sud du front.
Solidement tenue par les Soviétiques,qui avançaient du côté de Stalingrad,
Kharkov devait être reprise.Le comte apprit sans broncher que les Soviétiques
allaient tenter de percer les lignes allemandes avec quatre-vingts chars
lancés en marche forcée.Gagnant une position d'attente,il conserva les Tigre
près de lui afin de voir s'ils pouvaient répondre à ce que l'on attendait d'eux.
Soudain,dix-huit T-34 apparurent,et la radio annonça:
"Distance 4 kilomètres"" Ne tirez pas,ordonna calmement le comte.
Je veux voir ce que les Russes ont derrière la colline".Son "sixième sens" ne le trompait pas.Quelques minutes plus tard apparaissaient
dix-huit autres T-34 et KV-85,canons d'assaut lourds sur chenilles.
Tapi derrière les maisons de bois du village,Strachwitz guettait l'adversaire
qui avançait rapidement.La ligne de défense avait la forme d'un fer à cheval
renversé:il voulait attirer les Soviétiques au centre.Là-bas,sur la colline,
quelques T-34 "se trémoussaient",selon son expression,cherchant
à provoquer le tir des canons de la défense allemande,selon une tactique
bien connue de Strachwitz,qui refusa de s'y laisser prendre.
"Nous devons bercer les Russes dans un sentiment de sécurité
en leur donnant l'impression que nous sommes pas assez forts
pour nous défendre.", dit-il à ses hommes.
Vers deux heures du matin,les Soviétiques cherchaient toujours à situer
les forces allemandes,mais les chars de Strachwitz avaient l'interdiction
de tirer:
" Seulement quand viendra le jour ! dit-il.
Nous ne ferons feu qu'à partir du moment où nous disposerons
de la clarté nécessaire."Ses hommes entendaient aller et venir les chars ennemis,qui tiraillaient
vers le village,incendiant çà et là une maison.Mais nul ne bougeait.
Encouragés par le silence,les Soviétiques avancèrent au petit matin
sur un large front vers le village.Leur char de commandement ne fut
plus bientôt qu'à 35 mètres du Tigre de Strachwitz.Aussitôt éclata
une détonation mordante comme un coup de fouet et la tourelle
du T-34 vola en l'air.Pour les hommes de Strachwitz ce fut le signal,
et dès la première salve huit chars ennemis furent en flamme.
Quelques minutes plus tard,dix autres connurent le même sort,
couchés sur la route.Les autres tentèrent de s'enfuir,mais les Tigres
bondirent à leur poursuite en détruisirent encore dix-huit.
Cette action valut à Strachwitz de recevoir les épées,le 28 mars 1943.
Dès 1941 il avait eu l'idée de faire monter des hauts-parleurs sur ses chars
pour inviter à se rendre les éléments de l'infanterie soviétique réfugiés
dans les forêts.Beaucoup de Russes répondirent à cette invitation,
apportant leurs armes comme il leur était ordonné.
Le comte les autorisait à conserver ces armes pour entrer dans les camps
de rassemblement installés à l'arrière:
" Comprenez-vous,disait-il à ses hommes,
les Russes ont ainsi
le sentiment qu'ils ne sont pas dépouillés,mais ce moyen paie car,
dès qu'ils sont isolés,ils jettent leurs armes dans les champs de blé".A l'aube d'un certain jour,on amena devant lui un transfuge à l'allure négligée,
qui se présenta comme étant le colonel Bergé,commandant la 190è division
d'infanterie."Berger" est un nom à consonance allemande,et le comte
fut surpris,mais son interlocuteur était bel et bien citoyen soviétique,
bien qu'effectivement son père fût né allemand.
"Rentrez chez vous et ramenez-moi votre division,ordonna Strachwitz,
Sinon je ne vous accepte pas comme prisonnier."
"Mais, balbutia Berger en blêmissant,
si je rentre ainsi dans nos lignes,
pieds nus et sans les insignes de mon grade,je serai fusillé sur-le-champ !"
"Eh bien,rétorqua Strachwitz,
chaussez-vous,et amenez-moi
votre division."Tournant les talons,il planta là le transfuge.Quelques heures plus tard,
le colonel Berger revenait se présenter à lui avec sa division au grand complet.
La mort voulut se saisir du "comte téméraire",qui fut blessé grièvement
à neuf reprises,et deux fois à la tête,sans parler de plusieurs blessures
légères et d'un grave accident d'auto.Mais,à peine rétabli,il reprenait
la tête de son régiment.
Le colonel de réserve comte Strachwitz fut promu major-général
le 1er avril 1944,ce qui l'obligea à entrer dans l'armée active.
Devenu commandant de la 1ère division blindée,il prit bientôt
le commandement en chef des troupes blindées du groupe d'armées Nord,
n'ayant sous ses ordres trois divisions blindées et une brigade antichar.
Dans le secteur nord du front,il fut aussi redouté des Soviétiques
qu'il l'avait été des Polonais à Annaberg en 1922.
Ilui prit fantaisie d'annoncer par radio à ses adversaires qu'il était de retour
sur le front et qu'il les attaquerait en un certain point.
Les Soviétiques le croyaient dans un hôpital de l'arrière,et l'on surprit
leurs messages aux unités de leur groupe d'armées:
" Attention ! Strachwitz est là,et va attaquer !"A l'heure qu'il avait indiquée,Strachwitz simula une attaque sur le point
qu'il avait précisé.Ayant retiré leurs troupes de ce secteur,les Soviétiques
les avaient regroupées afin de laisser Strachwitz foncer dans le vide
pour l'encercler ensuite,et l'anéantir.C'est là-dessus que comptait
Strachwitz,qui lança sa véritable attaque sur le point où les Russes
se mettaient en place,faisant ensuite converger ses chars vers l'est.
Ils passèrent devant un poteau indicateur qui portait l'inscrption:
Moscou,490 km.Créant la confusion parmi les adversaires
qu'il rencontrait dans l'arrière-pays,Strachwitz s'enfonça jusqu'à 150 kms
avec dix chars,puis revint à sa base de départ sans pertes ni manquants.
Située dans le secteur du groupe d'armée Nord,la ville de Tuccum se trouvait
aux mains des Soviétiques,et sa reconquête était d'autant plus importante
qu'on venait d'apprendre qu'en partant de là l'ennemi pousserait ses troupes
dans les vides qui se formeraient entre les corps d'armée allemands,
afin de couper le groupe d'armées en deux.Mais,selon l'avis des généraux
commandant en chef,il était impossible de prendre Tuccum.
Le comte Strachwitz était d'une opinion contraire,à condition d'agir par ruse,
et obtint qu'on lui laissât toute liberté de manoeuvre.
Prenant dix chars avec lui,il partit "en balade",et décrivit un grand arc
qui lui fit contourner la ville et roula dans les rues où quelques T-34 et KV-85
pointaient leurs canons vers l'est pour écraser les positions allemandes.
Il ne fallut à Strachwitz que quelques minutes pour les mettre en flammes.
Leurs équipages se rendirent,ou prirent la fuite.Ne laissant sur place que
la moitié de son effectif,le comte Strachwitz fonça avec ses cinq autres
chars vers les postes de commandement des généraux auxquels il annonça
que Tuccum était libéré,et occupé par la moitié de ses "forces armées".
"Comment avez-vous pu faire ça ? s'étonna-t-on.
-
Voyez-vous,messieurs, répliqua-t-il,
je suis Karl May en personne." *
* Karl May est l'auteur de romans d'aventures pour la jeunesse,
très populaire en Allemagne.
Ses héros se sortent des situations les plus extravagantes par leur astuce
et leur courage.
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