Un très beau livre paru récemment:
A feu et à sang, De la guerre civile européenne, 1914-1945 de Enzo Traverso; chez Stock. A mi chemin entre l'essai philosophique et l'enquête historique, Traverso y livre une réflexion à la fois juste et prenante sur l'âge des extrêmes, discutant au passage avec Nolte, Furet et quelques autres, pour tenter de dégager une approche originale: un livre engagé au meilleur sens du terme. Je le recommande vivement.
Citation:La première moitié du XXe siècle fut une époque de guerres,
de destructions et de révolutions qui mirent l'Europe à feu
et à sang. De l'explosion du vieux monde en 1914 au nouvel équilibre instauré en 1945, le continent connut des temps
de catastrophe et de chaos.
Pour Enzo Traverso, la notion de « guerre civile européenne » permet de rendre compte de cette terrible combinaison de guerre totale sans front ni limites, de guerres civiles locales
et de génocides, qui vit aussi l affrontement de visions opposées du monde. Dans une ample perspective solidement documentée, il en brosse les principaux traits :
le mélange de violence archaïque, de violence administrative froide et de technologie moderne pour anéantir l'ennemi,
la brutalisation de populations jetées dans l'exode ou l'exil,
le déchaînement émotionnel des conflits entre civils au sein
de sociétés déchirées (URSS 1917-1923, Espagne 1936-1939, Résistance 1939-1945) ou encore l'irruption de la peur et l'effroi de la mort dans l'esprit des hommes. Restituant également leur place aux protagonistes engagés, il analyse les positions
de ces intellectuels de l'entre-deux guerres qui, à partir
d'un égal rejet du monde en l'état, optèrent de façon opposée pour le communisme (tels Gramsci ou Benjamin) ou pour
la révolution conservatrice (tels Jünger ou Schmitt).
Il revient de même sur le combat des militants et résistants antifascistes, sans pour autant esquiver la question des liens avec le stalinisme ou celle de l'aveuglement face au génocide.
Ce livre s'inscrit ainsi contre une relecture de cette période
de l'histoire qui, sous couvert d'une critique des horreurs
du totalitarisme, tend à rejeter les acteurs, fascistes
ou antifascistes, dans le purgatoire indistinct des idéologies, comme si, derrière les victimes, aujourd'hui célébrées,
tous les chats du passé étaient gris.