L’Occident dénaturé du XXIe siècle par André Gandillon.
Dans un entretien paru dans Le Monde du 18 juillet 2014, l’écrivain et universitaire
Régis Debray a traité de la nature, des forces et des faiblesses de l’Occident,
qualifié aussi de « monde de l’Ouest ».
Les propos tenus sont d’un grand intérêt dans la mesure où ils révèlent les travers
de la pensée dominante de notre époque. Il convient d’y répondre.
UN OCCIDENT FALSIFIÉ.Régis Debray définit l’Occident comme étant
« à la fois une zone, une organisation et un projet ».
La zone est l’espace euro-atlantique, à savoir « l’aire chrétienne moins le monde orthodoxe ». L’organisation, c’est l’OTAN, « une organisation politico-militaire, offensive et expansive
qui dépasse l’aire atlantique ».
« C’est enfin un projet, la volonté de moderniser la planète dans un mélange
d’hyper individualisme, de marché libre » aboutissant à « gérer les pays
comme des entreprises ».
Tel est bien « l’Occident actuel » :
- une société réduite à sa seule dimension immanente, matérialiste,
déterministe sous domination états-unienne.
En réalité, il s’agit d’une société sans âme, une société désincarnée,
vidée de toute dimension spirituelle et donc de tout ressort vital intérieur,
mue par la seule dynamique de la puissance financière appuyée sur l’axe City- New York.
Mais, lorsque Régis Debray définit l’Occident comme une “zone” géographique
désignée comme l’aire chrétienne moins le monde orthodoxe,
il s’agit d’un propos incomplet et déformant dans la mesure où,
si l’Occident dans son actuelle acception est bien issu de l’aire de civilisation
chrétienne romaine, il s’est affirmé en s’affranchissant de ces mêmes fondements
chrétiens et plus encore en les combattant et en les rejetant.
Chesterton, avec sa grande lucidité, désignait d’ailleurs les idées occidentales
comme des idées chrétiennes devenues folles. J
ustement, dans les propos de l’entretien susnommé, rien ne vient dénoncer la nature foncièrement dégénérée, carencée de cet Occident par rapport à la civilisation dont il est issu. Pourtant, Régis Debray aurait pu en dresser la fiche signalétique puisqu’il reconnaît que
« la chrétienté médiévale est la forme achevée de l’Occident ».
Si l’époque de Saint Louis est un achèvement, comment peut-on fabriquer ensuite
un autre Occident, si ce n’est une copie dégradée, une falsification de celui-ci ?
Il n’est pas question d’idéaliser ce que purent être les XIIe et XIIIe siècles ;
mais l’efflorescence intellectuelle et spirituelle de cette époque, marquée par des intelligences supérieures comme Albert le Grand et Saint Thomas d’Aquin, Duns Scot,
marque sans aucun doute le sommet de la pensée philosophique et la pensée
de cette époque a été la condition même des développements futurs du monde européen.
La condamnation de l’averroïsme et le décret de 1277 de l’évêque de Paris d’Etienne Tempier condamnant 219 thèses jugées hétérodoxes par rapport à la foi chrétienne furent
l’un de ces tournants principaux qui permirent ultérieurement l’éclosion de la science moderne.
Les siècles qui suivirent et qui aboutirent au « monde moderne »,
dont l’Occident est l’expression actuelle, sont caractérisés par un double mouvement :
- d’une part, celui du développement du savoir scientifique, porteur de « progrès technique »
et par suite de puissance temporelle ;
- d’autre part celui de la dégénérescence philosophique caractérisé par le développement
de la philosophie idéaliste dont la philosophie des Lumières est une expression majeure
et dont la conséquence principale a été un rationalisme desséchant et réducteur
dont la société européenne ne s’est pas encore délivrée, accompagné d’un anthropocentrisme exacerbé destructeur
UN OCCIDENT JUDAÏSÉ.Lorsque Régis Debray explique l’Occident comme « l’idée qu’il faut passer de la contemplation
à la domination du monde » et qui se nourrit d’un « projet d’intervention qui convertit
le temps en histoire fléchée et l’espace en confins », il fait référence, sans les nommer,
aux idées bibliques d’accroissement de la Création et d’universalité de la vérité
et de ce que le monde n’est pas celui de l’éternel retour mais celui qui s’inscrit
dans la temporalité, avec un commencement et une fin, même si, au fil des temps,
il est possible de distinguer dans l’histoire des civilisations des processus cycliques
mais qui se déroulent sur une sorte d’hélicoïde spatio-temporelle.
D’ailleurs, il précise justement que l’Occident a un projet universel
depuis qu’il est devenu chrétien.
Suite de l’article d’André gandillon dans Rivarol, disponible le 25 septembre 2014.Pour s’abonner : http://www.rivarol.com/Rivarol.html