Auschwitz, 60 ans après par
Annette Wieviorka ( Livre ) Robert Laffont 2005, 286 p., 20 euros
ISBN : 2221102983
La première histoire en français du grand camp d'extermination nazi
(aujourd'hui situé en Pologne)
« Une excellente synthèse accessible sur les nombreuses questions
suscitées par l'histoire du camp.
Avec, en particulier, une évocation précise de sa déjudaïsation
pendant la période communiste ainsi qu'une salubre
mise au point sur une interrogation anachronique, mais à la mode :
fallait-il bombarder Auschwitz ? » (L’Express, 17 janvier 2005)
Auschwitz, qui résume en un lieu et en un nom la criminalité du régime nazi,
est aujourd'hui illisible : il est devenu une sorte d'écran où individus e
t collectivités projettent leurs cauchemars ou leurs espoirs de paix;
le lieu des commémorations officielles, des pèlerinages.
Or ceux-ci ont fini par lasser nos contemporains et brouiller la réalité
du camp, déconnecté de son histoire pour devenir un simple concept,
un symbole.
C'est pour rendre le camp d'Auschwitz-Birkenau à sa réalité
qu'Annette Wieviorka le rend ici à l'Histoire.
En reconstituant pas à pas les circonstances de sa construction,
de ses agrandissements colossaux en fonction des populations
qu'il a accueillies, de son choix pour la mise en œuvre
de la Solution finale dans l'Europe occupée, elle éclaire sa spécificité
et s'attarde sur des éléments fondamentaux de l'entreprise
de destruction des juifs.
Mais cette étude précise et passionnante n'est pas strictement historique :
elle permet aussi de comprendre les enjeux des polémiques
qui naissent autour de la mémoire d'Auschwitz et donne sens
au camp-musée qu'il est devenu,afin que celui-ci ne reste pas un lieu muet.
« Établir les faits, donc, tel est le premier objectif de ce livre qui présente
sous forme synthétique un état des recherches les plus récentes
et les plus fiables sur l'identité des détenus, le sort réservé
aux différentes catégories de déportés,le nombre de morts
(1,1 million de morts, parmi lesquels 960 000 juifs,
sur un total d'environ 1,3 million de personnes déportées
dans les camps d'Auschwitz) et le lancinant débat concernant
l'opportunité et la possibilité de bombarder Auschwitz pour enrayer
la machine exterminatrice.
Cette mise au point n'est pourtant qu'une facette d'un ouvrage qui,
de façon plus inattendue, raconte aussi l'après-Auschwitz,
ces soixante ans qui suivirent sa "découverte" par l'Armée rouge
terme préférable à celui de "libération", étant donné
que le sauvetage des juifs ne faisait pas partie des buts de guerre
des Alliés. Après le camp comme lieu de la destruction des juifs d'Europe,
Annette Wieviorka s'intéresse donc au camp comme "lieu de mémoire",
plus exactement comme lieu d'affrontement de mémoires concurrentes.
Devenu un musée en 1947, ce qui reste comme "le plus grand cimetière
du monde" fut un "enjeu" autant qu'un "théâtre" pendant la guerre froide, revendiqué comme terre de leur martyre par les communistes,
qui mirent l'accent sur la déportation politique et occultèrent
l'identité juive de la majorité des morts d'Auschwitz.
Ce n'est que dans les années 1980 qu'Auschwitz fut réinvesti
par la mémoire juive : les discours prononcés à l'occasion
des cérémonies commémoratives autant que la conception
des expositions et des mémoriaux rendent compte de
cette évolution de la signification conférée à Auschwitz. »
(extrait d'un article de Thomas Wieder, Le Monde, 21 janvier 2005)
Je suis resté sur ma faim,ou plutôt sur ma soif de savoir...
Pendant près de huit pages (pp.117-124),elle y résume le travail
du pharmacien J-C Pressac,parlant d'une "réponse "scientifique" "
au "assassins de la mémoire" (p.115).
Mais aucun argument scientifique n'est apporté,qui évoquerait
une expertise des locaux présentés comme des
chambres à gaz homicides pour répondre aux révisionnistes.
Sur les crématoires 2 et 3,par exemple,elle se contente d'écrire,
se référant à J-C Pressac:
"Les chambres à gaz-crématoires II et III étaient d'un modèle
identique.La maquette qui figure dans l'exposition générale d'Auschwitz I
les montre au visiteur.
Chacune comprenait une salle de crématoire avec cinq fours Topf
à trois creusets incinérateurs et un sous-sol où se situaient
deux morgues semi-enterrées,aménagées en salle de déshabillage
et en chambre à gaz (210 m2).
Un ascenseur hissait les cadavres du sous-sol à la salle des fours
du rez-de-chaussée.
Les pièces principales étaient ventilées automatiquement.
Les ruines du crématoire II laissent distinguer le plancher du local
où se trouvaient les fours et ce qui reste des rails qui servaient
à y transporter les corps des victimes.
Dans celles du crématoire II,on peut distinguer les vestiges
de l'escalier menant du vestiaire de la chambre à gaz
aux crématoires situés dans le sous-sol." *
Ce texte n'est que la répétition de la thèse officielle échafaudée
bien avant l'arrivée de J-C Pessac et connue des révisionnistes
depuis le début. **
Une "preuve définitive"
qui n'en était pas une....
Notons qu'A.Wieviorka n'a même pas mentionné ce que le pharmacien
déclarait être " la preuve définitive de l'existence
d'une chambre à gaz homicide dans le crématoire II" :***
une lettre de la Topf datée du 2 mars 1943,relative à un crématoire
d'Auschwitz (sans autre précision) et mentionnant une commande,
par les SS, de dix détecteurs destinés à révéler
" les restes d'acide cyanhydrique".
Pourquoi cette surprenante discrétion ? J'y vois deux raisons:
- En parlant de "la preuve définitive" , J-C Pressac admettait
implicitement que c'était la seule dont les historiens disposaient
après un demi-siècle de recherches et d'études.
Or, comment croire qu'un tel massacre aurait pu ne laisser
qu'un document en guise de preuve ?
- Et quel document !
Il ne s'agit même pas d'une pièce qui évoquerait clairement
un massacre de masse.Non !
Il y est uniquement question de dix malheureux détecteurs destinés
à relever des restes d'acide cyanhydrique".
Quand on sait que ce gaz était utlisé entre autres pour la fumigation
de pièces et qu'une morgue destinée doit être désinfectée régulièrement
(surtout si l'on y entrepose des cadavres de typhiques), la force probante
de ce document se révèle nulle.
Selon toute vraisemblance,de tels détecteurs allaient être utilisés
pour s'assurer de l'évacuation totale des vapeurs toxiques après fumigation...