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La Charte du Travail -
(
26 octobre 1941 )
" Le régime économique de ces dernières années faisait apparaître
les même imperfections et les mêmes contradictions que le régime politique.
Sur le plan parlementaire,apparence de liberté.
Mais en fait,asservissement aux puissances d'argent et recours de plus
en plus large aux interventions de l'Etat.
Cette dégradation du libéralisme économique s'explique d'ailleurs aisément.
La libre concurrence était à la fois le ressort et le régulateur du régime libéral.
Le jour où les coalitions et les trusts brisèrent ce mécanisme essentiel,
la production et les prix furent livrés,sans défense,à l'esprit de lucre
et de spéculation.
Ainsi se déroulait ce spectacle révoltant de tant de millions d'hommes manquant
du nécessaire en face de stocks invendus et même détruits dans le seul dessein
de soutenir le cours des matières premières ". Ainsi s'exprimait le Maréchal
Pétain dans son
Message du
11 octobre 1940.
Trois mois après avoir reçu des parlementaires les
pleins pouvoirs pour reconstruire la France.
Il entendait souligner la nécessaire complémentarité,pour installer
un nouveau modèle de société,entre le domaine politique et le domaine
économique et social.
Une
Révolution Nationale ne pouvait en effet faire l'impasse
sur une mise en cause d'un système,le
capitalisme libéral,
source de
" la violence qui se cache sous certaines libertés apparentes".Cette mise en cause du libéralisme avait été le pivot de diverses initiatives développées
entre
1930 et
1934 et que
Jean-Louis Loubet del Bayle a appelé
" l'esprit de 1930" (Les non-conformistes des années 30,
une tentative de renouvellement de la pensée politique française,Seuil,1969).
Un esprit animant la revue
Plans,dirigée par le sorélien
Philippe Lamouret à laquelle collaboraient
Hubert Lagardelle,vieux militant
socialiste révolutionnaire et ami de
Mussolini,Le Corbusier,
Fernand Léger,Claude Autant-Lara,Arthur Honegger.Cette équipe affirmait la nécessité d'une nouvelle société organisée
autour de
" l'homme réel " et la substitution à la liberté économique,
qui est l'anarchie créatrice de misère d'une organisation rationnelle
de la production et de la répartition:
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l'économie du Plan.
Cette thématique était proche de celle développée par le mouvement
Ordre Nouveau,fondé en 1930 par
Robert Aron,Alexandre Marc et
Arnaud Dandieu.Mêmes préoccupations au sein de la revue
Esprit,fondée en 1932
par
Emmanuel Mounier.Ces équipes qui véhiculent
" l'esprit de 1930 " considèrent
que la grande crise économique de 1929 est la sanstion du système libéral,
guidé par la
"frénésie productiviste" (
Daniel-Rops),
le moteur du productivisme étant
"la recherche sans frein du profit" (
Jean de Fabrègues), ce que
Maritain appelle :
"le principe contre nature de la fécondité de l'argent"Esprit dénonçant en novembre
1933 "l'usure érigée en loi générale".
Alors que les années ayant suivi 1934 semblaient marquer la mise entre
parenthèses de
"l'esprit de 1930",la naissance de l'Etat français,
en
1940 vit resurgir,comme l'a noté
Raoul Girardet,certains
des hommes qui avaient été porteurs de ce courant.
Ainsi
François Perroux, un ancien d'
Esprit,met en avant
la conception de l'entreprise comme
"communauté de travail" (reconnu aujourd'hui comme ayant été un des grands économistes
contemporains,il est l'auteur de
Capitalisme et communauté de travail,
Syndicalisme et Capitalisme, Autarcie et Expansion,publiés entre
1936 et
1940).
Directeur de l'
Institut d'études corporatives fondé par Vichy en
1940.
Perroux a créé,avec
Maurice Bouvier-Ajam,les cahiers
Renaître,destinés à donner
" une interprétation doctrinale,homogène
et cohérente " des principes de la
Révolution Nationale.De même deux anciens animateurs d'
Ordre Nouveau,
Jean Jardinet
Robert Loustau,jouent un rôle clef dans l'entourage du Maréchal.
Loustau,chef de cabinet du ministre des
Affaires étrangères Paul Baudouin,rédigea le
Message de Saint-Etienne
que le Maréchal consacra en
mars 1941 aux problèmes sociaux
et qui annonçait la
Charte du Travail.
Proclamant le refus de la lutte des classes,il dénonçait les causes de celle-ci:
" C'est la menace du chômage et l'angoisse de la misère qu'elle fait peser
sur les foyers.C'est le travail sans joie de l'ouvrier sans métier.
C'est le taudis dans la cité laide où il passe des hivers sans lumière
et sans feu.
C'est la vie de nomade sans terre et sans toit.
Telle est la condition prolétarienne.
Il n'y aura pas de paix sociale tant que durera cette injustice ".Promulguée le
26 octobre 1941, la
Charte du Travail était une pièce maîtresse de la
Révolution Nationale puisqu'elle
avait comme raison d'être d'organiser les rapports professionnels
entre employeurs et employés.
Pour la première fois,la notion de
salaire minimum vital garanti aux travailleurs apparaissait dans une loi.Il était fixé par l'Etat.
Le principe d'une
participation ouvrière à la gestion de l'entreprise
et des oeuvres sociales,préconisée par
Perroux et
Bouvier-Ajam,
était calqué sur ce qui existait en Allemagne.
En fait,deux courants avaient été en concurrence pour fixer le contenu
de la
Charte du Travail:
- les syndicalistes et les corporatistes.
D'où la formule de compromis qui en sortit.Mais dont les acquis devaient,
pour beaucoup,survivre à la fin de l'Etat français.
Pierre Vial.Source:
RIVAROL n° 2925,30 octobre 2009, page 12.