L'architecture expression de la communauté.On essaie toujours de diviser l'architecture en deux formes d'expression:
- l'architecture sacrée et profane, confondant en cela l'objet et la fin
qu'elle peut servir.
Une cathédrale gothique n'est pas l'expression d'une volonté de culture
chrétienne parce que des messes y sont dites.
Sinon le gothique ne s'exprimerait que dans la construction des églises.
Mais lorsqu'on circule en Allemagne aujourd'hui,on contemple avec autant
d'admiration des hôtels de ville que des tours municipales gothiques.
Tous ces bâtiments ont été construits
par la communauté pour la communauté.
Ils lui ont servi de lieux d'assemblée, d'administration ou de défense.
Ils se dressent devant nous comme des monuments témoignant de la grandeur
de la communauté.
Celui qui regarde aujourd'hui le temple d'Athéna, le Parthénon sur l'Acropole
d'Athènes, ressent une profonde admiration pour l'architecture des Grecs
et ne songe sûrement pas au rite religieux qui rassemblait la communauté
dans ses salles.Dans bien des cas, nous ne sommes absolument pas sûrs
de savoir à quelle fin a pu servir un monument.
Les spécialistes n'ont pas encore tranché unanimement la question de savoir
si la plus grande pyramide de Giseh a été conçue comme
tombeau pour
le roi
Chéops ou a été construite sur son ordre pour transmettre aux
générations suivantes des
formules et des
règles mathématiquesau travers d'un monument défiant les millénaires,même si la plupart de ces savants
la considèrent comme un site funéraire géant.
Seuls des gens manquant d'esprit ou animés d'intentions spéculatives parlent
d'une architecture "chrétienne" et considèrent comme style le plus inhérent
à une confession, le bien culturel de notre peuple qui s'exprime dans les cathédrales.
En partant de cette considération l'Occident aurait dû être franchement pauvre
en monuments architecturaux avant que le christianisme ne se soit répandu
en Europe.
Mais c'est précisément la "ville éternelle" près de Tibre qui contient
un grand nombre de constructions "païennes"et le Colisée égale au moins
en beauté architecturale l'église Saint-Pierre, encore qu'il soit mal venu
de comparer deux constructions d'époque différente dont l'une a été érigée
1500 ans plus tard que l'autre.
Quoi qu'il en soit, les deux bâtiments n'avaient
qu'un seul but:servir
la communauté populaire en tant que lieu de réunion.Mais lorsqu'on évoque
" art chrétien", on constate que celui-ci était extrêmement primitif, comme
en témoignent les fouilles qui ont extrait des "catacombes" différents ustensiles
appartenant aux premiers chrétiens.
Les papes eux-mêmes, appréciant la construction, n'étaient pas de bons maîtres
d'oeuvre.
Bramante à qui l'on confia la réalisation de la basilique de St-Pierre,
avait prévu la forme grecque de la croix pour donner à la plus puissante cathédrale
du monde l'imposante masse qu'elle devait aussi avoir en perspective.
Après la mort de Bramante et de ses successeurs, c'est le vieux
Michel-Angequi prit la direction des travaux.
Cet homme génial voulut améliorer les plans de Bramante et donner ainsi plus
de force à l'impression d'ensemble que l'on désirait obtenir.
Il suréleva la coupole pour la mettre en valeur, simplifia le plan en racourcissant
les bras de la croix.
Pourtant son plan ne fut pas suivi.Après sa mort, le pape exigea de
Maderna,
son successeur, en dépit de diverses objections, qu'il prolonge le bras ouest en
une longue nef rappelant un peu trop le plan de la Rome orientale, Byzance.
Le résultat fut que la conception unique de Michel-Ange perdit tout son effet.
L'architecte Maderna essaya bien de "sauver" ce qui pouvait l'être.
Mais c'est seulement Bernini, le créateur de la colonnade, qui donna tout son sens
à la façade, et cela en utilisant un effet de perspective créant volontairement
une place ovale que le spectateur pense ronde.On peut à peine croire que le pape
d'alors, son bailleur de fonds, ait eu conscience de cet artifice optique.
En tout cas, trois générations d'architectes se sont vues contraintes de corriger
les désirs architecturaux des papes par des constructions non prévues à l'origine.
La plus grande partie des monuments architecturaux a servi et sert encore
des buts "profanes".C'est ce que démontre l'hôtel de ville d'Alstadt dans le Brunswick:
ce bâtiment gothique, en effet, n'a rien à envier à aucune cathédrale.
La communauté a construit une "maison administrative" qui correspondait
au sentiment qu'elle avait d'elle-même et à sa volonté culturelle.
On doit encore tenir compte du fait que les membres du conseil ne possédaient pas
de pouvoirs illimités mais qu'ils avaient reçu des habitants pour ainsi dire, par
les représentants, la mission d'édifier un hôtel de ville qui devait extérieurement
symboliser la communauté.
La place manque ici, ne serait-ce que pour ne citer que les noms des nombreux
hôtels de ville, entrepôts, maisons de drapiers,maisons de pesée, etc.
Il est certain que les constructions d'église ne sont supérieurs aux constructions
publiques ni dans l'art architectural, ni dans le type d'exécution.
Au contraire:on ne s'adressait qu'à des "maîtres-bâtisseurs de cathédrale"
qui s'étaient
déjà fait un nom par leurs oeuvres.
C'était donc la
communauté nationale qui employait les maîtres constructeurs,
possédant grâce à ses représentants assez de sens de style pour distribuer à l'aide
de plans de grands contrats architectutaux.
On ne trouve aucun homme parmi les bâtisseurs de cathédrales qui n'ait déjà fait
ses preuves auparavant et aucun pape et évêque bâtisseur ne peut s'attribuer
la
découverte d'un architecte.
Michel-Ange était au zénith de sa gloire quand on lui confia la construction
de Saint-Pierre et Fischer von Erlach serait entré dans l'histoire architecturale
sans la Karlskirche de Vienne, bien que nous soyons heureux d'avoir cette
construction baroque, l'une des plus belles de son temps.
(Karlskirche de Vienne)
Parmi les monuments, nous trouvons aussi de nombreuses "portes".
Ce sont ces fortifications "points d'appui stratégiques" dans les habituels
remparts d'une ville, qui n'avaient d'autre but que de protéger la communauté.
La plupart sont maintenant au coeur d'une ville qui a dépassé les limites
de ses anciens remarts et n'en édifie plus parce qu'ils n'auraient plus de raison
d'être à notre époque (!).
En effet, jamais un bâtiment n'a été construit pour lui-même et presque aucun
n'est entré dans l'histoire de l'architecture en ne servant que l'individu et non
la communauté.
Si l'on pense pouvoir objecter qu'il y avait châteaux et burgs, il faut remarquer ici
que tous les empereurs, rois, princes et chevaliers personnifiaient symboliquement
une communauté et qu'aucun peuple fier n'aurait souffert que son représentant
vive dans un lieu non conforme à ce que la dignité et le niveau culturel
du peuple exigeaient de lui.
Et, quand la communauté s'élevait avec colère contre un souverain,
ce n'était pas parce qu'il faisait ériger trop de "constructions d'apparat"
pour son usage, mais parce qu'il n'était
pas digne de représenter
le
peuple.
C'était l'argument de propagande à bon marché du marxisme
que de comparer la magnificence architecturale des classes dirigeantes
aux "logements casernes" des travailleurs.
Ce sont justement les travailleurs qui font preuve, dans l'histoire
de l'architecture, d'un désir de créer des valeurs culturelles durables,
ceci trouvant sa plus belle expression dans les magnifiques maisons
des corporations à Gand, Bruges et Memel.
Les tailleurs, forgerons, bouchers, poisonniers et tisserands n'étaient
pourtant que des
travailleurs qui s'étaient rassemblés en corporations
et avaient payé de leur poche la construction des maisons corporatives.
Elles constituaient l'édifice représentatif de leur corporation, le foyer de leur
communauté professionnelle où ils se rassemblaient pour passer des soirées
en commun et y cultiver la camaraderie.Dans ces bâtiments, leur entraide
ne connaissaient qu'une loi, celle du " tous pour un, un pour tous "
qui régissait leurs actes et leur conduite.Leur sentiment communautaire
était si fort qu'en temps de guerre, c'est en qualité de
corporation qu'ils participaient à la bataille, emportant plus d'une fois la victoire.
L'architecture n'est pas seulement une musique devenue pierre, elle reflète aussi
l'esprit de la communauté populaire.Même le plus talentueux des bâtisseurs
ne peut réaliser ses rêves les plus audacieux sans la communauté qui fournit
des travailleurs manuels qui réalisent ses plans.
Et quand nous contemplons aujourd'hui avec respect nos cathédrales,
on ne les doit pas à "l'art chrétien" mais bien à la performance culturelle
des milliers de mains qui les ont crées.Les tailleurs de pierre n'étaient,
d'ailleurs, pas toujours des "chrétiens craignant Dieu" comme
en témoignent encore aujourd'hui de nombreuses gargouilles
franchement compromettantes pour la gant monacale.
Les villes qui possèdent le plus de cathédrales n'taient pas non plus
"les plus chrétiennes"Il y eut même en vérité un temps où les villes riches,
pour montrer à Rome que ce n'tait ni l'envie, ni l'avarice qui les poussaient
à refuser de payer tribut au pape, fournissaient généreusement aux moines
mendiants les moyens de se construire des églises, comme ce fut le cas
à la fin du XIIè siècle.Une grande partie de l'architecture "franciscaine"
lui doit sa naissance.
Lorsque le pape voulait bâtir en tant que "représentant de la chrétienté",
les villes lui en refusaient les moyens car elles ne le trouvaient pas digne
de parler au nom de "leur" chrétienté.
Même les cathédrales ne sont rien d'autre que l'expression de la volonté
devenue pierre de la communauté populaire.
L'histoire architecturale de tous les peuples civilisés nous enseigne que l'architecture,
en tant que forme d'expression d'un peuple créateur de valeurs, a été négligée ou
même s'est éteinte lorsque la communauté elle-même a dégénéré
et a disparu de l'Histoire.
En vérité, nous avons nous-mêmes vécu le chaos architectural
quand la communauté populaire s'est déchirée.Impuissante et sans vitalité,
elle a donc assisté sans y prendre part à la tentative faite par des éléments
allogènes de monopoliser la forme d'expression artistique pour en faire un moyen
égoïste de gagner de l'argent.
Mais l'art ne peut provenir que de la communauté et d'un style de création qui
embrasse l'univers.
C'est pourquoi l'architecture est aussi le reflet d'un peuple homogène,
de la communauté populaire.